Idées & Débats / Histoire & Patrimoine
La navigation inertielle

La navigation inertielle
La Deuxième Guerre mondiale vit les gyroscopes utilisés pour stabiliser le vol des V1 conçus par Werner von Braun, père du programme spatial américain, précurseur de tous les engins balistiques.
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Par Jacques Paccard (Ch. 164)
Publié le 2025-04-13
Une navigation « en boucle ouverte » qui se contentait d’intégrer les accélérations mesurées par des accéléromètres colinéaires avec les axes des gyroscopes. Elle ne concernait que de courtes durées de vol. Plus sophistiquée, une plateforme inertielle stabilisée par trois gyroscopes selon les axes desquels trois accéléromètres mesurent les accélérations ressenties (dont la composante de gravité liée au défaut d’horizontalité). Intégrées en vitesse, elles commandent une dérive des axes sensibles des gyroscopes à la vitesse V/R (R= rayon terrestre) pour les maintenir à l’horizontale. Une nouvelle intégration nous donne la distance parcourue.
C’est la « boucle de Schuler » qui montra, en 1923, que ce système bouclé constituait un oscillateur « accordé » sur la période de 84,4minutes insensible aux mouvements du porteur mais dérivant dans le temps en fonction des erreurs instrumentales.

Représentation schématique de la boucle de Schuler : R=rayon terrestre, g=gravité

Avantage : un système totalement indépendant de toute source d’information extérieure, d’où son intérêt pour les véhicules stratégiques. Inconvénient : un oscillateur pur dont les erreurs ne s’amortissent pas. Ici réside toute la problématique de la navigation inertielle des navires et avions dans la deuxième moitié du vingtième siècle.
Il fallait une précision extrême des instruments pour connaitre pendant plusieurs semaines (voire mois) la position d’un sous-marin en immersion ou pour les avions qui traversaient les océans sans moyen radio. Peu de sociétés relevèrent le défi de ces technologies. En France Sagem le fit en 1961. Aujourd’hui, le positionnement satellitaire (GPS, Galileo) apporte une précision comparable, voire supérieure, mais au prix d’une dépendance politique et radioélectrique (brouillage).
Les États-Unis fort mécontents de voir la France ne plus dépendre exclusivement du parapluie américain interdirent les échanges technologiques en cours avec la France. L’amiral Hyman Rickover, père de la dissuasion américaine, déclara à la commission de la Défense du Sénat : « La France réussira à réaliser la propulsion nucléaire des sous-marins, mais jamais elle n’atteindra les performances de navigation nécessaires pour une utilisation opérationnelle qui rendrait sa force crédible ». Ce fut fait en moins de dix ans. Toute une génération de centrales inertielles furent développées dès lors en France par Sagem en toute indépendance et dans les performances exigées. 
Robert Labarre (Cl 140), son président, et Pierre Faurre qui lui succède en 1987 poursuivent l’élan vers les hautes technologies. En 1996, il nomme Daniel Dupuy (Li. 50)(voir AM Mag 448) à la tête de la division Défense et Sécurité qui connaîtra un développement remarquable dans ces technologies. Toute une génération de navigateurs vit le jour telle Uliss de Sagem, dont plusieurs dizaines de milliers furent construits.
De nombreux Gadzarts s’y sont illustrés. On peut citer Philippe Laurent (Ch. 58), inventeur du gyroscope flottant compact, Claude Messan (Li. 52), Frédéric Martin (An. 56) et Cécile Sauret (Bo. 78) qui maitrisèrent les technologies des accéléromètres et gyroscopes, Marcel Tiget (Pa. 46) qui développe les premiers systèmes aéronautiques, Loïc Camberlein (Li. 56) qui introduisit avec Pierre Faurre le filtrage statistique de Kalman, Michel Prétet (Cl. 61) et Michel Perron (Ch. 56) qui développèrent les systèmes balistiques, Polen Lloret (Ch. 57) qui introduisit les premières centrales inertielles chez Airbus.

Jacques Paccard (Ch. 164)

Voir aussi les articles sur la navigation avant les satellites et le gyrolaser précédemment publiés dans les numéros 419 et 420