Le futur de la machine-outil sous les feux de l’EMO
(Les organisateurs de l’EMO, qui se tiendra du 22 au 26 septembre 2025 à Hanovre (Allemagne), ont présenté les principales tendances du plus grand salon mondial consacré aux machines-outils et à la transformation des métaux à l’occasion d’une avant-première en juillet, à Francfort (photo). L’automatisation, l’intelligence artificielle et le développement seront au cœur de l’offre des exposants de cet événement qui fêtera cette année ses 50 ans.
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Par Christophe Duprez
Publié le 2025-09-10

« L’EMO constitue une plateforme unique au monde de dialogue entre les acteurs internationaux du secteur de la machine-outil et de la métallurgie, fabricants comme utilisateurs : nulle part ailleurs, ils ne trouveront une expertise internationale aussi riche ! », s’enthousiasme
Markus Heering, directeur de la VDW, l’association allemande des constructeurs de machines-outils qui organise l'événement. Parmi les 150 industriels et journalistes venus des quatre coins de la planète pour l’occasion, nul n’ose le contredire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : avec près de 1 500 exposants d’une quarantaine de pays déjà enregistrés et quelque 92 000 visiteurs venus de 140 nations lors de la dernière édition, en 2023, le salon constitue un outil de veille privilégié pour les professionnels du monde entier.
UNE VITRINE INDUSTRIELLE QUI FÊTE SON DEMI-SIÈCLE
Cela fait maintenant 50 ans que l’EMO (Exposition mondiale des machines-outils), présente l'ensemble de la chaîne de valeur du travail des métaux, des machines-outils aux systèmes de production, en passant par les procédés additifs, les outils de précision, l'automatisation, la mesure, les logiciels, les accessoires… Au-delà de la métallurgie, tous les marchés industriels sont concernés : construction mécanique, automobile, aéronautique, médical, énergie, électronique…
Aussi l’innovation joue-t-elle un rôle de premier plan, comme Markus Heering a pu le constater ces derniers mois en sillonnant la planète pour promouvoir l’événement. « En dépit de l’incertitude économique mondiale actuelle, j’ai pu observer des développements positifs en Chine et en Inde, notamment. Si la situation demeure plus compliquée en Europe en raison de l’accumulation des crises et de la montée de la concurrence internationale et des problèmes démographiques et énergétiques, elle reste le plus gros marché mondial, bénéficie d’un système éducatif performant et est forte d’une diversité qu’elle doit entretenir en développant les collaborations. J’ai la conviction que les investissements repartent et qu’apparaissent de nouveaux développements et solutions. »
LES 3 PRINCIPAUX FACTEURS DE TRANSFORMATION DE L’INDUSTRIE
Si l'industrie en général, et la métallurgie et les machines-outils en particulier, se transforme profondément, elle doit faire preuve d’inventivité : alors que la concurrence s'intensifie, que les coûts augmentent et que la demande en produits durables s'accroît, les investisseurs adoptent encore trop souvent une approche attentiste et la pénurie de main-d'œuvre qualifiée s’accroît alors même que l'intégration de nouvelles technologies nécessite une formation continue de pointe.
Fort de ce constat et afin d’aider les professionnels, l'EMO met trois grands thèmes à l’honneur cette année : l'automatisation, le développement durable et la numérisation, en particulier l'incontournable IA. Tous sont en effet étroitement liés au futur de la production. « L'automatisation s’impose pour réduire les coûts, améliorer la qualité et pallier les pénuries de personnel. Elle est rendue possible par la numérisation, dont la prochaine étape consiste à intégrer l'IA à tous les niveaux de l'entreprise pour optimiser l'efficacité des machines et rendre les processus et les produits plus durables grâce aux données obtenues », explique Markus Heering qui prévient : « Ne pas anticiper ces développements, c’est se vouer à l’échec. » Lequel ne guette visiblement pas les exposants rencontrés lors de cette avant-première, qui intègrent ces développements dès à présent dans leur réflexion et leur offre.
Christophe Duprez, à Francfort
L’automatisation, une réponse aux défis actuels de la production
« Dans un contexte d'exigences de qualité de plus en plus élevées et de pénurie de main-d'œuvre qualifiée, l'automatisation s’avère plus que jamais essentielle pour l'industrie, martèle Markus Heering, directeur de la VDW, l’association allemande des constructeurs de machines-outils organisatrice de l’EMO. En améliorant l'efficacité et la qualité de la production, elle constitue un investissement privilégié des professionnels. »
Après les têtes de serrage, Hainbuch lancera ainsi sur le salon une solution de changement automatisé des mors pour mandrins. « Même avec des tensions externes élevées, les éléments de serrage peuvent être changés automatiquement pour différents diamètres de pièce, les capteurs sensoriels intégrés garantissant la fiabilité du processus », explique Christina Große Kathöfer, responsable marketing du fabricant allemand de dispositifs de serrage et des solutions automatisées. Pour garantir la qualité des processus automatisés, ce dernier propose aussi ses dispositifs de serrage IQ dotés d’une intelligence de mesure intégrée.
Le constructeur de machines-outils Huron, seul exposant français présent à l’avant-première, mise d’abord sur la robotisation. « Sur l’EMO, nous dévoilerons une nouvelle solution introduisant la cobotisation sur un tour, destiné en particulier aux PMI à la recherche de solutions flexibles et économiques pour moyennes et petites séries », révèle Jonathan Philipps, son directeur commercial. Il présentera également une solution de palettisation pour un ensemble 3, 4 ou 5 axes sous la forme d’un module standard développé pour s’intégrer sur ses machines.

Les robots ont aussi le vent en poupe chez Zoller. Ce spécialiste des bancs de réglage et de mesure dispose, à côté d’un de ses produits, un robot qui y charge les outils, ce qui lance alors automatiquement la mesure. Une fois sa tâche terminée, le robot décharge les outils qu’il dispose dans une palette. L’objectif principal, explique
Jörg Seyfferle, directeur export pour l’Allemagne, est de répondre à la pénurie de main-d’œuvre. Cela nécessite une collaboration étroite avec les fabricants pour développer l’interface.
Une condition que ne connaît pas l’Australien Anca, spécialisé dans les rectifieuses à commande numérique. « Nous concevons et fabriquons l’ensemble de nos machines de A à Z, y compris les systèmes de commande et les logiciels », explique Joachim Jäckl, responsable marketing et communication Europe. Il y a dix ans, l’industriel est ainsi l’un des premiers à développer l'automatisation intégrée pour l'affûtage de toutes sortes d’outils de coupe (pour le métal ou le bois, ronds ou à plaquettes…) produits par des rectifieuses cinq axes. Il lance en 2018 la solution Aims (Anca Integrated Manufacturing System), un programme de fabrication automatisée et intégrée, connectable à un ERP, qu’il installe sur ses différents systèmes et dont il développe les fonctions au fil des ans. Après le découpage, l’usinage ou encore le marquage laser, il présentera à l’EMO l’automatisation de la préparation des bords.
Les logiciels sont également au cœur des nouveautés de Tebis. L’éditeur allemand lance en effet une nouvelle version de son logiciel 4.1 incluant la technologie « SmartOps ». Celle-ci, en plus d’être capable de prendre en charge l'automatisation complète des processus de CAO/FAO, permet de maîtriser, plus rapidement et facilement, de nombreuses tâches de conception et de planification de fabrication, et de les reproduire à tout moment.
Produire plus vite et mieux, tel est le credo de Renishaw, spécialiste britannique des systèmes et logiciels de fabrication pilotés par les données. Le fabricant met en avant son nouveau système de mesure Equator-X 500. Ce dernier est conçu pour les ateliers où la variété des produits et les fréquents changements de conception nécessitent des systèmes de mesure rapides, flexibles et faciles à utiliser, quel que soit l’usinage. Il propose deux types de mesures à grande vitesse, selon l’application visée, explique Rainer Lotz, son président EMEA.
C.D.
L’IA, la technologie qui va tout changer
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« Si la digitalisation vise depuis de nombreuses années à accroître la productivité, elle vient de se doter, avec l’IA, d’un outil de premier ordre dont les industriels doivent urgemment s’emparer… sous peine de se voir irrémédiablement décrocher. » Cet avis de Markus Heering, directeur de la VDW, l’association allemande des constructeurs de machines-outils organisatrice de l'EMO, est partagé à la fois par Sebastian Heinz, fondateur et dirigeant de l’entreprise allemande Statworx, spécialisée dans la création de valeur à partir de la data et de l’IA, et par le
professeur Michael Zäh, détenteur de la chaire de machines-outils et de technologie de fabrication à la Technische Universität München (TUM), qui ont participé à une table ronde dans le cadre de cette avant-première. Tout en soulignant que l’IA n’est pas nouvelle dans le secteur, tous deux constatent une accélération récente due à la prise de conscience de son intérêt. Avec des inégalités à la fois géographiques et économiques : l’Europe, notamment, est à la traîne par rapport aux États-Unis et à l’Asie, et les grosses entreprises ont pris une avance certaine sur les PMI.
S’ADAPTER OU DISPARAÎTRE
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« Nos industriels doivent arrêter de se défier de l’IA et s’en emparer d’urgence », insiste Sebastian Heinz. « Son potentiel est en effet énorme, confirme Michael Zäh. Associée à des caméras, elle constitue un formidable atout dans le contrôle qualité et la maintenance. » Pour bénéficier de l’avantage compétitif décisif qu’elle procure, il faut agir dès maintenant et ne pas attendre l’arrivée des premiers produits des concurrents sur le marché, car il sera trop tard, avertissent-ils. Cela passe par une coopération non seulement avec les industriels, mais aussi, en particulier pour les PMI qui ont moins de moyens de recherche, avec les universitaires, comme l’a illustré la visite d’un
laboratoire de la Technische Universität Darmstadt (TU Darmstadt) organisée lors du voyage de presse. « D’ici à cinq ans, l’IA sera capable de générer elle-même de l’innovation », prévient Sebastian Heinz.
Un avertissement inutile pour le fabricant des machines-outils CNC, l’Allemand Heller, qui a anticipé l’avènement de cette technologie. Il a en effet mis en place depuis plusieurs années une équipe spécialisée qui développe des solutions numériques dotées d’IA à destination de l'ingénierie mécanique. Avec un objectif clair : accroître la productivité de ses clients. L’IA est ainsi d’ores et déjà présente dans trois de ses plateformes conçues pour assister les opérateurs, les planificateurs de production et le personnel de service dans leur travail, en optimisant l'exploitation des machines et en permettant une maintenance prédictive.
Zoller, pour sa part, utilise l’IA pour mesurer l’usure. « Il n’existe pas encore de système entièrement automatisé capable de le faire, ce qui garantirait au passage un beau pactole à l’inventeur », sourit Jörg Seyfferle, directeur export pour l’Allemagne. En revanche, l’industriel spécialiste des bancs de réglage et de mesure a mis au point un programme semi-automatisé. Incluse dans un logiciel installable sur des équipements standards, l’IA permet d’évaluer, à travers divers critères, l’usure de l’outil.
Huron, quant à lui, a recours à l’IA pour prévenir les collisions. « Plus les machines évoluent et se diversifient, plus les risques de chocs augmentent, explique Markus Poppe, responsable des ventes export. Aussi utilisons-nous les données récupérées depuis plusieurs années pour anticiper ce souci sur nos nouvelles machines via un jumeau numérique embarqué. »
C.D.
Le développement durable, une condition de survie
Confrontées à une législation de plus en plus rigoureuse et à la pression de leurs clients qui les exhortent à transformer leur production, les entreprises ont recours à différents moyens, au premier rang desquels la consommation d’énergie. « Les nouveaux bancs de frettage de Zoller la réduisent jusqu’à 30 % par rapport aux anciens modèles », souligne Jörg Seyfferle, directeur export pour l’Allemagne. Chez Anca, l'affûtage des outils s’avère très énergivore, car il nécessite un important processus de refroidissement. « C'est pourquoi nous avons mis en place des pompes haute pression sur une série de machines de façon à l’assurer en permanence », déclare Joachim Jäckl, responsable marketing et communication Europe. Une méthode bientôt étendue aux autres modèles. L’industriel travaille également sur la récupération d'énergie émise au niveau des axes. Sans oublier le rétrofit que pratique également Huron. Arguant de la solidité de la conception de ses machines, le constructeur français met en avant la préservation de leur partie mécanique tout en remplaçant l’électronique, en intégrant des commandes numériques modernisées ou encore des moteurs et variateurs moins énergivores pour leur donner une seconde vie.
C.D.
Photos : © C. DUPREZ/AMM