Ress. humaines / Analyse
Aéro : Recruter pour décarboner

Aéro : Recruter pour décarboner
Portée par la reprise du trafic aérien et les projets de recherche liés aux enjeux énergétiques et environnementaux, l’industrie aéronautique a de forts besoins en recrutement et fait face à une réelle pénurie de compétences sur certains profils. Grégoire Buffet, dirigeant associé du cabinet de recrutement Indside, s’appuie sur des témoignages de professionnels du secteur pour mettre en lumière le lien entre attractivité et engagements environnementaux.
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Par Grégoire Buffet (Bo. 191)
Publié le 2023-08-29
 
 
L’aéronautique est un secteur clé de notre économie, employant 182 000 personnes en France en 2020 selon l’INSEE, et même 300 000 si l’on compte les emplois indirects. Mais cette industrie est aujourd’hui confrontée à un défi majeur : réduire son impact environnemental face aux enjeux climatiques. Alors que l’aéronautique était reconnue depuis toujours pour être particulièrement attractive, moteur dans la création d’emplois pour l’industrie française, l’arrivée du Covid-19 a paralysé le secteur, qui a vécu un véritable bouleversement. Une baisse des effectifs de 8 % a été constatée cette année-là, soit la suppression de 23 300 emplois, une diminution quatre fois plus élevée que sur l’ensemble de l’économie (INSEE). C’est heureusement dès la fin de l’année 2021 que nous avons assisté à une belle reprise de l’activité sur le secteur aéronautique, qui a déclenché de grands besoins en richesses humaines. Plus de 15 000 recrutements sont prévus pour l’année 2023, et 40 % d’entre eux concernent la recherche et le développement. Comme le reste de l’industrie, l’aéronautique subit néanmoins une réelle pénurie de compétences sur de nombreux profils. Les ressources humaines du secteur peinent donc aujourd’hui à recruter des ajusteurs, monteurs, chaudronniers, soudeurs, mais aussi sur des postes plus spécifiques liés à la recherche : efficacité énergétique, hydrogène, génie électrique, mécanique des fluides, intelligence artificielle, cybersécurité ou encore data management. Un tel coup de “stop & go” laisse des traces et nombre de talents se sont malheureusement durablement détourné du secteur aéro, amplifiant encore la pénurie.
Trouver du sens dans son métier
A l'heure du flight shame, alors que prendre l’avion est souvent ressenti comme contraire à toute conscience écologique, on voit apparaître de plus en plus de polémiques au sujet de l’aéronautique. On ne compte d'ailleurs plus les gros titres de la presse pointant du doigt l’utilisation de jets privés par des personnalités. En parallèle, la prise de conscience croissante des enjeux environnementaux pendant la pandémie a conduit à une accentuation des attentes côté candidats. Plus sensibles à l’impact environnemental des entreprises, les talents sont en quête de sens et souhaitent évoluer dans des secteurs qui s’engagent activement sur la voie de la décarbonation. Cette nouvelle tendance s'affirme et, au même moment, les difficultés pour l’aéronautique à recruter et retenir les talents sont de plus en plus présentes. A l’image du plastic bashing qui associait l’industrie du plastique à la pollution, sommes-nous en train de nous diriger vers un « aéro bashing » ? Plus précisément, les difficultés de recrutement du secteur sont-elles liées à son image environnementale dégradée ?
Une industrie qui attire toujours
Sur un marché de plus en plus tendu, attirer des talents dans l’industrie aéronautique devient un véritable challenge. Pour comprendre le lien entre attractivité et enjeux environnementaux, nous avons recueilli le témoignage de professionnels du secteur. Ce qui est indéniable, c’est que l’industrie aéronautique reste malgré tout très attractive pour nombre de candidats. 76 % des candidats interrogés trouvent l’industrie aéronautique attractive, notamment depuis la crise de la Covid-19. Le premier facteur cité par nos répondants est l’innovation technologique : le secteur a toujours fait rêver grâce à l’imaginaire qu’il déploie, et à sa capacité d’innovation. Il offre un environnement stimulant et en constante évolution.  On peut relier cet attrait pour l’industrie aéronautique à la fascination originelle de l’Homme pour le vol et les oiseaux en général. Du mythe grec d’Icare aux films Top Gun, en passant par le développement de l’avion supersonique Concorde, l’aéronautique évolue entre fascination et crainte, mais ne laisse jamais indifférent ! D’un point de vue très pragmatique, le secteur attire toujours bon nombre de candidats grâce aux avantages qu’il apporte. L’aéro est historiquement connue pour ses belles opportunités de carrière, mais aussi pour proposer des salaires élevés. Un facteur qui porte encore ses fruits : 85 % des personnes interrogées sont convaincues que l’aéro offre des opportunités de carrières attractives.
 La question environnementale au cœur du débat
Le secteur ne séduit pour autant pas tout le monde. Les principaux désavantages soulevés par nos répondants concernent les profils recherchés. L’aéronautique étant un secteur particulièrement technique, la recherche de profils ayant déjà une expérience dans cette industrie, ou des compétences techniques très précises, peut venir compliquer très sérieusement le recrutement. Les enjeux environnementaux sont le deuxième élément le plus cité. Il semblerait que beaucoup de candidats ne croient pas en l’avenir d’une industrie aéronautique durable et préfèrent donc ne pas y postuler. Pour autant, il ne faudrait pas être simpliste et réduire l’aviation à son impact sur l’environnement. Bon nombre d’experts abordent ce défi avec une approche globale : analyse et optimisation du cycle de vie produit, ruptures technologiques des motorisations hydrogène ou électrique, évolution des pratiques, économie d’usage... une aéronautique plus vertueuse se construira en combinant différentes démarches. Au-delà des actions individuelles, il est indispensable de faire évoluer l’ensemble de l’écosystème de manière vertueuse (constructeurs, sous-traitants, compagnies aériennes, etc.). Il faut également veiller à ne pas diaboliser l’aéronautique, qui reste un des principaux outils de la défense nationale, mais surtout de la connexion des territoires. Œuvrer en faveur de l’environnement ne doit pas se faire par un repli sur soi. Défendre la cause environnementale ne saurait se faire en stoppant les échanges internationaux entre des peuples. L’attraction-répulsion des talents pour l’aéro ne nous ramènerait-elle pas à nos propres contradictions dans nos combats pour la défense de l’environnement ? Il serait d’ailleurs intéressant de moduler cette vision au niveau international, en fonction des critères culturels et géographiques, mais notre enquête s’est concentrée sur la France. Ces contradictions son encore plus criantes dans le spatial, un secteur très proche : entre progrès scientifique des satellites qui permettent de suivre le changement climatique, et bilan carbone hallucinant des voyages touristiques dans l’espace. Ce n’est certes pas en arrêtant le progrès qu’on va avancer : de même que l’industrie est une partie de la solution aux enjeux environnementaux, la technologie permettra à l’aéro d’emprunter une voie plus vertueuse ! Ces contradictions sont au cœur des enjeux d’attractivité du secteur.
Une capacité à se réinventer
Le secteur aéronautique a donc tout intérêt à miser au maximum sur ses projets de transition environnementale, en intégrant ses richesses humaines au processus, en mettant en avant les projets liés à une aéronautique décarbonée, ou qui en prennent le chemin. L’un des aspects clés, cité de nombreuses fois par nos répondants, est de mettre plus en avant les projets d’avions électriques et hydrogènes pour attirer des candidats. Ces projets sont révolutionnaires, prouvent la volonté du secteur de se transformer, et sont technologiquement passionnants. L’industrie aéronautique continue de faire rêver des passionnés. Le secteur est en constante évolution, grâce aux innovations qui permettent de concevoir des avions plus légers et plus performants, et donc plus sobres, plus sûrs et plus respectueux de l’environnement. De nombreux projets sont à l’œuvre à travers le monde et illustrent le dynamisme dans lequel le secteur aéronautique s’inscrit aujourd’hui. Du tour du monde en avion solaire au retour grâce du dirigeable, en passant par les nombreux avions électriques en développement à travers le monde, ce qui est sûr, c’est que la transition a bien commencé ! Deux tiers des personnes interrogées étaient confiantes en la capacité de cette industrie à réduire son empreinte environnementale et à enclencher une transition vers la mobilité de demain. Car oui, nombreux sont celles et ceux qui sont passionnés par l’aéro, mais qui font aussi extrêmement attention à leur impact sur l’environnement, et qui souhaitent donc s'investir dans la transformation technologique et vertueuse de ce secteur.
Ces nouveaux projets de l’industrie aéronautique, notamment liés à l’électrique ou à l’hydrogène, vont bouleverser les richesses humaines du secteur. La filière va devoir attirer des profils variés et de nouvelles compétences pour relever ce défi. Et ça tombe bien, puisque 8 personnes interrogées sur 10 nous ont indiqué vouloir s’investir dans des projets liés à la transition écologique de l’aéronautique. Comme nous le constatons dans l’industrie en général, l’attractivité d’une entreprise est plus liée aux orientations et aux efforts consentis pour l’environnement, qu’à son historique vertueux… S’investir dans un secteur pour participer à le rendre plus responsable semble donc l’un des meilleurs leviers de motivation des talents d’aujourd’hui. Attention cependant au green washing ! Entre incertitudes technologiques et économiques, freins à l’attractivité, rareté des talents… le moins que l’on puisse dire, c’est que l’industrie aéronautique a encore de beaux défis à relever ! Le secteur s’appuie heureusement sur un écosystème solide pour relever des challenges ambitieux et sur une image qui reste positive : l’aéro fait encore et toujours rêver et attire des candidats qui croient en sa capacité à se réinventer et à répondre aux enjeux qui se présentent.