FabBRICK fait revivre les textiles

À l’heure de la « fast fashion » et de la surconsommation textile effrénée qu’elle génère, la start-up française FabBRICK, aujourd’hui en phase de préindustrialisation, a eu la bonne idée de convertir ses différents déchets en briques qui, après les corps, viennent vêtir les murs. Séduite, la Fondation Arts et Métiers l’a nommée à l’occasion de son dernier Grand Prix AM des industries responsables.
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Par Christophe Duprez
Publié le 2025-05-28
La société FabBRICK a été fondée par la jeune architecte Clarisse Merlet dans le prolongement de son projet de fin d’études. Soucieuse de la pollution générée par l’industrie du BTP, cette dernière souhaite contribuer à une construction à la fois plus durable et vertueuse de bâtiments en exploitant des déchets. Les filières de recyclage de matériaux tels que le carton ou le papier étant bien développées, elle se tourne vers les textiles, très faiblement revalorisés. Son diplôme en poche, elle dépose les statuts de sa nouvelle entreprise en décembre 2018. FabBRICK est née.
UNE CROISSANCE EXPONENTIELLE

Deux mois après,
Clarisse Merlet décroche sa première commande. Celle-ci émane de Jules, la célèbre enseigne de vêtements masculins dont elle finit par refaire l’ensemble des boutiques hexagonales. Très dynamique sur le Web et bénéficiant d’une belle couverture médiatique, la jeune femme participe à de nombreux concours. Autant d’actions et de bouche-à-oreille qui contribuent à faire connaître sa démarche.
En 2021, elle effectue une première levée de fonds de 600 000 € auprès d’un business angel et convainc la BNP de lui prêter 250 000 €. Cela lui permet d’agrandir son équipe en recrutant des designers, des débiteurs de matériaux, un commercial et une ingénieure, Chantal Nguyen, chargée de la R&D. Elle investit aussi dans une presse semi-automatique, conçue et fabriquée spécialement par le bureau d’études AJ Automation. Cette machine se substitue à un premier modèle manuel hydraulique, développé avec son père dans le garage familial et toujours utilisé lors des pics de production.
Il lui faut en effet répondre à une demande exponentielle. Aujourd’hui, sa clientèle, presque exclusivement professionnelle, est constituée à 40 % d’architectes et à 20 % de grandes marques de prêt-à-porter. Figurent, à côté de Jules, d’autres grands noms comme les Galeries Lafayette, le Printemps, L’Oréal, Etam ou encore Salomon et LVMH. FabBRICK passe ainsi d’un chiffre d’affaires de 240 000 € en 2023 à 400 000 € en 2024, et vise les 600 000 € cette année. La start-up, dont le produit comme le process sont brevetés en France et en Europe, se doit donc de répondre au défi de la production.
L’ÉTOFFE DES ZÉRO… DÉCHET

« Nous récupérons exclusivement les textiles trop usés, sales, vieux ou démodés pour être portés de nouveau », explique Chantal Nguyen. L’approvisionnement peut passer par l’achat de balles de 500 kg de stocks « chiffon » à des collecteurs spécialisés, tels les Relais, présents dans toute la France, qui s’occupent de les récupérer, de les laver, de les trier et de les redistribuer aux recycleurs. Les clients constituent une autre source possible, devenant ainsi également fournisseurs de la start-up, dans un esprit d’économie circulaire. Ils génèrent en effet des déchets textiles : chutes ou erreurs de production, prototypes, fins de rouleaux, vêtements d’image (utilisés à des fins promotionnelles) ou encore collectes auprès des salariés. « Nous voyons même certains d’entre eux partir à la recherche de traces de leurs vieux vêtements dans les briques que nous leur livrons », s’amuse Chantal Nguyen.
L’une des forces de FabBRICK est de savoir recycler tous les types de tissus en les mélangeant aux « points durs », tels que les boutons, les fermetures Éclair… Les textiles sont d’abord triés par couleur, démarche qui évite tout recours à des colorants, avant d’être envoyés dans un broyeur à bois reconverti pour l’occasion.
Les chiquettes de tissus ainsi obtenues passent alors dans les mains de deux collaborateurs, surnommés les « brickeurs », au savoir-faire particulier. Ce sont eux qui, à l’aide d’un pétrin de boulanger, élaborent la colle selon une formule secrète créée par Clarisse Merlet. Nous apprendrons juste qu’elle est « écologique, biosourcée, sans produit pétrolier, additif, solvant ou conservateur ». Autant de caractéristiques qui les obligent à la formuler quotidiennement pour correspondre à la production journalière.
UN PROCÉDÉ ÉCONOME EN ÉNERGIE

Les chiquettes sont d’abord pesées dans deux grands bacs dédiés, dans lesquels les deux « brickeurs » versent la quantité de colle correspondante à l’aide de pichets. Le tout est mélangé manuellement de façon à obtenir un résultat homogène qui sera ensuite réparti dans dix empreintes de briques rectangulaires creusées dans un grand moule. Dans chacune de ces empreintes, le mélange est séparé en deux couches par une plaque de plastique. Une même empreinte produit ainsi deux briques.
Le moule passe alors dans la
presse qui exerce une compression à froid, un mode préféré à la thermocompression habituellement utilisée dans le recyclage textile, mais énergivore. À l’issue de cette étape, les briques – de 200 mm de longueur sur 100 mm de largeur et 20 mm d’épaisseur, pour un poids de 200 g – sont récupérées et disposées une à une sur des étagères où elles sèchent à l’air libre, avant de passer dans un déshydrateur alimentaire.
Un contrôle qualité visuel et tactile est ensuite effectué sur chacune des briques. Les recalées sont réinjectées dans le processus à l’étape du broyage. Une fois la marchandise livrée au client, celui-ci est libre d’installer lui-même ses briques ou de déléguer cette opération à la start-up.
« Si ces briques ont été développées en vue d’en faire un produit de finition vertueux, elles n’en possèdent pas moins des propriétés intéressantes testées en laboratoire, précise Chantal Nguyen. En matière d’isolation thermique, avec 0,085 watt par mètre-kelvin(1), elles s’apparentent à la feutrine. Leur coefficient d’absorption acoustique, égal à 0,45, les rend comparables à des rideaux acoustiques, et leur tenue au feu les classe dans la catégorie M2 (difficilement inflammable), le niveau M1 (ininflammable) pouvant être atteint via un traitement supplémentaire. » Des performances d’autant plus importantes qu’elles sont essentiellement installées dans des établissements recevant du public.
EN ROUTE VERS L’INDUSTRIALISATION
Assistée d’Arthur Duval, ingénieur spécialisé dans la mécanique, et des bureaux d’études AJ Automation et Fitatech, Chantal Nguyen, de formation chimiste, a pour mission de préindustrialiser la production, de son propre aveu « encore relativement artisanale et manuelle ».
Afin de financer ce passage à plus d’automatisation, la start-up, qui bénéficie d’aides publiques via l’éco-organisme de recyclage textile Refashion, Bpifrance et la Région Île-de-France, a effectué une deuxième levée de fonds d’un million d’euros fin 2024.
« Notre objectif est de produire plus et de réaliser des économies d’échelle pour passer en deux-huit d’ici à décembre en créant une seconde équipe de “brickeurs” », explique Chantal Nguyen. Ce doublement de la cadence doit permettre d’augmenter la production, actuellement de 240 briques par jour, à 600 unités à la fin de l’année, en optimisant prioritairement l’existant. Cela passe non seulement par une meilleure organisation, mais aussi par l’automatisation de certaines étapes, au premier rang desquelles le mélange textile-colle et la formulation de cette dernière, l’opérateur gardant un rôle de supervision. La presse, quant à elle, va se voir augmentée de nouvelles fonctions. L’enjeu est en effet central au vu du potentiel énorme du marché (voir encadré). « FabBRICK a été rentable au bout de six mois d'exercice, ce qui prouve la viabilité de la solution. Depuis 2021, nous amortissons les investissements de la première phase d'industrialisation, l'objectif étant de rétablir la rentabilité de notre activité sur l'exercice 2025 », précise Chantal Nguyen.
Christophe Duprez (photos : ©FabBRICK)
(1) Le watt par mètre-kelvin (W.m-1.K-1) est un indicateur de performance thermique d’un isolant mesuré en laboratoire. Le kelvin représente la variation d’un degré Celsius, tandis que le mètre mesure le rapport entre l’épaisseur de l’isolant et la surface à isoler. Plus la conductivité est faible, plus le matériau est isolant.
Un enjeu environnemental majeur
FabBRICK recycle actuellement 10 t de textile par an. Ce chiffre impressionnant ne représente cependant qu’une goutte d’eau en comparaison des 540 000 t de déchets textiles produits chaque année en France.
D’après la journaliste Catherine Dauriac, auteure du livre Fake or not : Fashion (Tana Éditions, 2022), les vêtements confectionnés à ce jour suffiraient à habiller la planète jusqu’en 2100. Entre 2000 et 2021, la production a en effet doublé, le consommateur moyen achetant 60 % de vêtements de plus qu’il y a quinze ans. À l’ère de la « fast fashion », l’industrie textile constitue par ailleurs l’une des plus polluantes, 65 % des habits étant en fibres synthétiques directement issues de la pétrochimie. En 2018, elle a émis 2,1 milliards de tonnes de gaz à effet de serre, soit 4 % du total mondial. Des chiffres qui ne cessent de croître.
Malgré l’importance des dons, la filière de la collecte est menacée en France. Ces derniers mois, plusieurs associations ont ainsi été contraintes de fermer des conteneurs pourtant submergés de textiles. En cause : la concurrence chinoise. En effet, jusqu’à présent, notre pays exportait plus de 50 % des vêtements récoltés vers l’Afrique, qui se tourne désormais vers les pays d’Asie, moins chers. Une situation qui pourrait cependant faire les affaires de FabBRICK, l’Hexagone devant désormais faire face à un nouveau défi : développer le textile recyclé !
C.D.
Art design

« FabBRICK associe à l’approche de plus en plus industrielle de sa production une démarche architecturale et artistique chère à Clarisse [Merlet] », souligne Arthur Duval. Cela explique la création d’une « galerie FabBRICK » dans ses locaux parisiens, espace purement artistique exposant sa première collection, « Le Virage ». « Notre cœur de métier reste la brique de textile recyclé pour revêtement mural, mais nous souhaitons dans le même temps mettre l’accent sur son côté design, car ce matériau a un potentiel important à ce niveau. D’où le recours à des designers, intégrés à l’équipe », confirme Chantal Nguyen, ingénieure R&D au sein de la start-up.
C.D.