Regom suit les pneus à la trace

Dans un secteur très concurrentiel, le groupe TC-Transports a constamment innové pour se démarquer. Au point que l’une de ses améliorations incrémentales, dans le tri de pneus usés notamment, a débouché sur une innovation de rupture : une machine de triage semi-automatique dotée d’intelligence artificielle. Ce système permet aux grands fabricants de suivre leurs produits à la trace. De là est née la société Regom, une filiale de TC-Transports aux visées internationales. Elle fait partie des lauréats des Green Product Awards 2025, dans la catégorie « Initiatives », se distinguant parmi 1 500 candidatures issues de 46 pays.
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Par Christophe Duprez
Publié le 2025-05-28
Passionné de camions, Alain Cassier (Cl. 165) crée sa société à Cercy-la-Tour en 1981 dans le sillon de Cycles Peugeot qui vient de s’installer dans cette petite commune de la Nièvre, berceau de sa famille. Dès le début, il se distingue en proposant des solutions techniques inédites : organisation des transports avec décroche-raccroche des remorques (la marchandise traverse la France sans s’arrêter avec des relais successifs de tracteurs) pour s’adapter aux nouveaux modes logistiques du « juste à temps », adaptation de la taille des camions aux conteneurs à transporter…

Sensible à sa fibre innovante, Faurecia, qui vient de s’implanter à Cercy-la-Tour, lui propose de l’accompagner dans ses développements, ce qui l’amène à créer plusieurs sites TC dans l’Hexagone.
Après vingt années de développement dans le secteur de l’industrie automobile, TC-Transports se diversifie, notamment avec une activité de vitrage de bâtiment qui lui donne l’idée de créer la société Transpose Verre. Cette filiale spécialisée dans la pose de verre plat met en œuvre des vitrages sur des ouvrages d’arts tels que la pyramide du Louvre ou le Centre Pompidou, et se positionne actuellement comme le leader de ce marché en région parisienne.
Mais le grand tournant s’amorce en 2003, alors que son fils Jean-François (Cl. 193) vient de le rejoindre à la tête de l’entreprise. À la suite de plusieurs incendies de gisements orphelins de vieux pneus, le gouvernement français demande aux principaux fabricants de pneus – Bridgestone, Continental, Goodyear, Michelin et Pirelli – de créer un éco-organisme, rémunéré via une écotaxe, pour collecter les pneus usés, les trier afin de les revaloriser et ainsi nettoyer le pays. Aliapur voit le jour. Le groupe TC-Transports, qui y voit une opportunité, postule et se voit désigné comme collecteur de la Nièvre.
UNE MACHINE DE TRI SPÉCIALEMENT CONÇUE

Constatant que le tri des pneus s’avère pénible physiquement pour leurs collaborateurs, le père et le fils réfléchissent avec Thomas Di Cioccio (Cl. 203) à la façon d’alléger cette tâche. Ils mettent en place des premiers systèmes ingénieux basiques : les bennes, chargées des pneus collectés, sont vidées dans une barge inclinée sur laquelle ils glissent pour arriver à hauteur d’homme. Nos Gadzarts y adjoignent bientôt un convoyeur sur lequel les pneus transitent jusqu’aux points de contrôle d’où ils sont orientés vers le recyclage ou le réemploi. Mais ce tri reste essentiellement humain, visuel et manuel.
Le nouveau système, mis en service en octobre 2024, constitue à ce titre une vraie révolution. En effet, une fois déposés par le camion de collecte, les pneus parviennent, via le convoyeur (circulant sous auvent), à un premier poste de tri. Un opérateur y écarte visuellement les plus dénaturés et les déchets (bouts de ferraille et autres intrus divers). Les autres continuent leur trajet.
Chaque pneu passe alors trois secondes – soit 1 200 unités par heure quand les conditions sont idéales – dans une grande boîte hermétique. À l’intérieur se trouve un lecteur muni d’une balance, d’un puissant système d’éclairage et d’une caméra. Cette dernière est reliée à un logiciel spécialement conçu et développé à base d’IA pour analyser le flanc du pneu, dont il répertorie à la fois le poids, la marque, le modèle, les dimensions, l’usure de la gomme, la période et l’usine de fabrication.
Nous avons ici les premiers éléments constitutifs de la traçabilité des pneus fabriqués et/ou commercialisés en France.
À leur sortie, les plus usés sont automatiquement évacués vers la case recyclage (broyés ou non, selon leur destination finale). Les autres continuent leur route jusqu’à un opérateur qui voit s’afficher sur son écran les données lues par la machine. À celles-ci s’ajoutent la provenance de collecte de chaque pneu et une proposition d’exutoire, qu’il valide ou non via un bouton, décidant alors de la suite du chemin emprunté. Au terme de cette étape, la traçabilité est enrichie de nouvelles données.
LE BOUT DE LA ROUTE
Les pneus connaissent ensuite des sorts variés en fonction de la programmation.
Certains font l’objet d’un réemploi. Ainsi, les exemplaires en très bon état – ce qui arrive parfois, la loi obligeant, en cas de crevaison, à changer au minimum la totalité du train avant ou arrière concerné –, sont soumis à un second test sur un banc de pression. S’ils le passent avec succès, une fois une paire reconstituée, ils sont revendus à bas prix à des distributeurs, concessionnaires ou négociants qui répercutent cette bonne affaire sur le portefeuille de leurs clients… quand c’est possible (voir notre encadré « Hypocrisie environnementale »). Ces parcours sont évidemment tracés.
Si les pneus présentent un moins bon état ne justifiant toutefois pas leur mise au rebut, ils peuvent être rechapés. Dans ce cas, la machine effectue un tri par lots dimensionnels pour chaque marque de sorte qu’ils puissent ensuite être remis en état. Là aussi, un traçage les accompagne.
Les pneus non réutilisables sont quant à eux recyclés par les acteurs de deux filières différentes : les cimentiers et les chimistes. Certains sont broyés par une cisaille rotative dans laquelle l’industriel vient d’investir, ce qui peut être considéré comme un traitement additionnel à ceux de la collecte et du tri. Près de 80 % de la matière broyée est brûlée en cimenterie. Le reste est transformé en granulats, destinés à servir de revêtement de sol, notamment pour les terrains sportifs. Avant cette étape, le système de tri a été capable de détecter et d’écarter les pneus contenant des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), cancérigènes, qui finissent également en combustible.
En complément de ces voies de valorisation, une nouvelle solution est en train d’émerger en Europe : la déconstruction chimique des vieux pneus par pyrolyse. Celle-ci permet de décomposer les éléments sélectionnés en noir de carbone recyclé (RCB), en huiles aromatiques ou pyrolytiques, en acier et en cendres de textile, déchets ultimes. Là aussi, le tri a été réalisé par le système automatisé.
Quel que soit le traitement subi, il est en revanche une richesse commune à chacun de ces pneus que la machine est capable d’extraire : la récupération de données. Tous sont en effet tracés. C’est un complément précieux apporté aux fabricants, qui sont en mesure d’indiquer aux autorités publiques compétentes le cycle de vie de chaque pneu passé par le système de triage mis au point et réalisé par Regom. La dotation progressive de puces RFID dans chaque pneu permettra de suivre précisément leur parcours.
REGOM, UNE START-UP EN PERPÉTUEL MOUVEMENT
Afin d’accompagner ces différents développements, l’entreprise a créé la filiale TC Environnement, consacrée à la collecte, au tri et au broyage de pneus. Le groupe TC a réalisé sur ses fonds propres le prototype de la machine avant de lancer Regom, start-up dédiée à la conception, à la fabrication et à la commercialisation du système semi-automatique de tri de pneus. Une mission dévolue à Arthur Wagner, son directeur, qui s’est vu octroyer 18 mois pour trouver des financements. Il convainc rapidement Bpifrance et l’Ademe de le suivre dans l’aventure. Aussi remplit-il une première demande de financement, laquelle devient en définitive une subvention à la faveur du plan France Relance venant d’être annoncé.
« Plus que du matériel, nous vendons un système d’IA intégré dans un processus, explique-t-il. Si nous commercialisons préalablement l’installation comprenant la machine, notre métier consiste surtout à gérer des bases de données selon des critères de destination permettant d’adresser des pneus dans différents systèmes en fonction des besoins spécifiques des clients. Nous récupérons de la donnée que nous devons ensuite gérer. » Pour accomplir cette mission, son équipe compte six collaborateurs et prévoit trois recrutements cette année pour absorber les commandes déjà programmées. Ce sont autant de gens qui participeront à amplifier le degré d’automatisation du triage des pneus et à imaginer d’autres manières de créer de la valeur.
DES DÉBOUCHÉS QUI DÉPASSENT LES FRONTIÈRES FRANÇAISES

Si cinq installations sont déjà actives en France et d’autres en Europe, l’industriel ne compte pas s’arrêter là : Gabriel Cassier, fils de Jean-François et petit-fils d’Alain, a rejoint la société en 2024 pour développer Regom Inc., la filiale américaine tout juste créée. Le site de Cercy-la-Tour, qui s’étend sur 4 ha, sert également de modèle d’exposition. « Après des délégations suédoise, hollandaise et allemande, nous avons reçu des Texans la semaine dernière », sourit Alain Cassier.
Le marché est en effet porteur. « Les acteurs du recyclage des pneumatiques en fin de vie ont besoin de ce type de système d’identification pour être en phase avec les nouvelles normes qu’on leur impose à travers la planète, indique Arthur Wagner. Notre système permet de répondre aux obligations légales de réduction de CO2 et au besoin de traçage de leurs produits, y compris pour alimenter les pyrolyses. » Afin de répondre aux enjeux de circularité, la pyrolyse et d’autres procédés de déconstruction chimiques sont en pleine phase de recherche et développement. L’appétence des pneumaticiens pour ces procédés est de plus en plus grande.
Regom est associé au projet européen « CIRPASS 2 » visant à démontrer, sur le terrain, la pertinence du « Digital Product Passport » (DPP) qui trace chaque pneu pour fournir des preuves de fin de vie. L’entreprise a également créé avec Aliapur et l’Afnor la norme NF T47-749. Ce standard détermine les critères de contrôle et de qualité pour la classification des pneus de véhicules légers en vue de leur réemploi. La société, enfin, investit dans sa R&D 25 % de son chiffre d’affaires, soit un montant de 2 millions d’euros (M€) en 2024 et une enveloppe prévisionnelle de 4 M€ cette année.
Christophe Duprez et Djamel Khamès, à Cercy-la-Tour (photos : DR)
Les pneus entrent dans l’ère de l’économie circulaire
Fléau environnemental, les nanoparticules de pneus sont partout, jusqu’au sommet de l’Everest ! Une situation d’autant plus problématique qu’ils contiennent des nanoparticules et des PFAS, ces fameux « polluants éternels » néfastes à la santé.
Après la question de la circularité des pneus usés ou usagés, en voie de résolution, se pose celle de l’élimination, à la source, de ces micropolluants libérés par le frottement des pneumatiques sur les chaussées pendant le roulage des véhicules.
Conscients du problème, et sous la pression des nouvelles normes et réglementations environnementales, les pneumaticiens démarrent des recherches sur leur élimination. L’une des solutions envisagées consiste à aspirer les nanoparticules pendant le roulage à l’aide d’un aspirateur astucieusement placé, à l’image de ce que fait la RATP sur les rames de métro à Paris.
C.D. et D.K.
Hypocrisie environnementale
Au détour de la visite, nous tombons sur plusieurs pneus de camions quasiment neufs mais avec une marque de perçage très nette, visiblement faite par une perceuse. « C’est le fait d’un garagiste d’une enseigne bien connue vantant pourtant sa politique écologique, nous explique Arthur Wagner, le directeur de Regom. Ne voulant pas que nous les revendions en faisant ainsi concurrence à ses modèles neufs, il préfère les percer. Or Aliapur interdit strictement de dénaturer les pneus. Nous allons faire remonter l’info, mais cette enseigne de distribution étant puissante, malheureusement sans réelle illusion sur les suites… »
C.D. et D.K.