Retour d’expérience : automatisation d’un entrepôt Leroy Merlin
L’automatisation augmente indiscutablement la productivité d’un entrepôt. © KION GROUP
Une partie de l’entrepôt de Leroy Merlin à Réau (Seine-et-Marne) a été entièrement automatisée. Le projet, qui a démarré en 2017, est devenu pleinement opérationnel en 2022. Quelles leçons peut-on en tirer ?
____________________
Par Djamel Khamès
Publié le 2025-05-28

Entrepôt de Leroy Merlin à Réau, en Seine-et-Marne. Le ballet des palettes bat son plein. Une fois celles-ci sorties du camion, des caristes les posent sur un convoyeur qui va les identifier par un code-barres et contrôler l’ensemble des dimensions et poids, ainsi que la conformité du support de charge. Si la palette présente un défaut, elle est aiguillée vers un espace spécifique où un autre cariste la prendra en charge. L’objectif est de ranger 100 % des palettes sans défaut.
En sortie de convoyeur, les gerbeurs autonomes iGo, fournis par l’entreprise Still, prennent le relais. Ils saisissent la palette puis se dirigent vers l’une des stations d’entrée dans le rayonnage en allées étroites pour l’y déposer.
Si un piéton avait croisé le chemin du gerbeur, ce dernier l’aurait repéré grâce à ses scanners de sécurité pour une détection à 360° et se serait arrêté seul. Une fois l’espace libéré, la machine se serait remise en route.
Le parcours à suivre a été indiqué au gerbeur par un automate embarqué, lui-même relié à un serveur central. Ce dernier fait office de chef de ballet en ordonnant aux chariots où aller et quel trajet emprunter grâce aux informations sur la nature du produit validées et contrôlées pendant le passage sur le convoyeur d’entrée.
La palette est ensuite saisie par un chariot tridirectionnel capable d’élever des charges au-delà de 10 m. Cet équipement, qui échange aussi avec le serveur central, range la palette au bon endroit sur l’une des 40 allées de 10 m de haut et 85 m de long.
Le ballet terminé, le gerbeur, ne recevant pas de nouvelle mission, se dirige vers une borne électrique pour recharger ses batteries, via un branchement au sol. Cet emplacement fait également office de parking.
La flotte de véhicules à guidage automatique (AGV en anglais, pour « automated guided vehicle ») compte, au total, 19 gerbeurs et 15 chariots tridirectionnels.
Ce « manège », réalisé en toute autonomie, est le résultat d’innovations issues du laboratoire de recherche et développement de Still, à Anvers (lire encadré).
Un chariot tridirectionnel en train d’enlever une palette de son étagère dans l’entrepôt de Leroy Merlin, à Réau (Seine-et-Marne). DR
Répondre à la pénurie de main-d’œuvre
L’entrepôt de Réau, qui dessert 143 magasins Leroy Merlin en France, est spécialisé dans les gammes de produits des rayons luminaires, outillage ou encore quincaillerie de l’enseigne. Il s’étend sur une surface de 72 000 m2 qui a la particularité d’accueillir deux zones d’entreposage distinctes, dont une aire automatisée de 36 000 m2.
Pourquoi le choix de l’automatisation partielle ? « Parce qu’aujourd’hui tout n’est pas automatisable en matière de logistique », répond Olivier Mangnier, directeur des projets intralogistiques de Leroy Merlin France et de Weldon France, deux entreprises du groupe Adeo.
En revanche, quand c’est possible, l’avantage d’automatiser est pluriel. Selon le directeur, les raisons principales sont au nombre de deux et visent à « répondre à la pénurie de main-d’œuvre et à détourner la main-d’œuvre disponible des opérations de roulage, dont la valeur ajoutée est faible, vers des activités plus techniques ».
Démarré en 2017, le chantier d’automatisation a été limité à l’utilisation des véhicules à guidage automatique pour le stockage, le déstockage et l’approvisionnement des lignes de préparation des colis vers les magasins « clients », tous des Leroy Merlin.
La période de test, réalisée à l’aide de trois gerbeurs et de trois chariots tridirectionnels, s’est terminée fin 2021 après que les systèmes informatiques de Still et de Leroy Merlin ont pu communiquer avec une totale satisfaction. C’est certainement le point le plus important, selon Bruno Chambraud, spécialiste des systèmes et de l’automatisation des chariots chez Still France. « Pour bien communiquer, il a fallu trier, parmi les milliers de données collectées, celles qui seraient utiles au bon déroulement des opérations et les certifier », précise ce dernier. Les échanges de données transitent via un réseau wi-fi, dont la latence des émissions-réceptions est de l’ordre de 3 millisecondes.
Mieux encore, Olivier Mangnier constate, avec l’automatisation, « une baisse de l’absentéisme, un accroissement de la qualité des opérations, une absorption à moindre coût des pics d’activité, en particulier la nuit et les week-ends, et une sécurité améliorée grâce, notamment, aux zones dédiées aux véhicules à guidage automatique. Depuis avril 2022, le taux de fiabilité effectif est supérieur à 99,90 % avec zéro accident corporel, zéro collision entre chariots et zéro choc entre chariots et étagères ».
L’automatisation, alliée des préparateurs de commande
Quand l’entrepôt de Réau reçoit une commande d’un magasin Leroy Merlin, une nouvelle mécanique se met en marche. Le chariot tridirectionnel sort la palette adéquate avant qu’un gerbeur ne la récupère pour l’apporter au plus près de la ligne qui alimente le système de préparation des commandes. Jusque-là, c’est l’ingénierie de Still qui a la main. Au-delà, celle de l’Autrichien TGW prend le relais.
La palette injectée, qui sera contrôlée en passant sous une arche équipée de différents capteurs, suivra un ensemble de convoyeurs avant d’être montée, par le biais d’un ascenseur, au niveau 1. Là, les opérateurs vont « décanter » les produits de la palette vers des bacs de 6 x 4 x 4 m ou de 8 x 6 x 4 m, selon la taille des références.
Une fois remplis, ces bacs partiront dans un « shuttle » (navette) vers un espace de stockage de 80 000 emplacements où ils seront déposés avant d’être appelés pour servir les commandes de différents magasins. Si un bac entier correspond au besoin d’un magasin client, il part directement aux postes de palettisation. Si seuls quelques produits doivent y être prélevés, ceux-ci passent par un poste « goods-to-person ». Autrement dit, les bacs sont directement apportés aux préparateurs qui n’ont plus besoin de se déplacer pour les récupérer.
Les colis préparés pour les magasins clients sont ensuite réunis sur une même palette, filmée avant d’être acheminée vers le quai d’expédition.
Les produits stockés restent en moyenne de trois à quatre jours sur les étagères. Cela donne une idée de la fréquence élevée des flux dans la zone automatisée de l’entrepôt.
Une préparation des commandes ergonomique
L’automatisation poussée de la ligne de préparation des commandes est frappante, autant que les postes de travail de cette chaîne. Olivier Mangnier aime rappeler que « la réalisation de cet entrepôt a révolutionné la façon de travailler des salariés ». Pour leur faire accepter ces profonds changements, il fallait les y associer. « Nous nous sommes appuyés sur un partenaire à Laval [Mayenne] à qui nous avons envoyé les plans de notre ligne de préparation des commandes afin qu’il la transforme en jumeau numérique 3D, explique-t-il. Certains salariés se sont prêtés au jeu en s’y immergeant à l’aide de la réalité virtuelle. Cela a permis de remonter leurs remarques quant à l’ergonomie de leur futur poste de travail. Mieux, nous en avons tenu compte, si bien que 80 % d’entre eux se sont montrés enthousiastes à l’idée de rejoindre leur nouveau poste. »
Les postes de préparation des commandes ont été également revus. Leur plateau peut désormais être monté ou descendu par l’opérateur, à la hauteur qui sied le mieux à sa taille. Cela lui permet, par exemple, de ne pas lever trop haut les bras ou de ne pas se courber pour collecter un objet. Le sol sur lequel se meut l’opérateur a été revêtu d’un tapis spécial antifatigue. À la fin de la journée, ce dernier se sent ainsi moins fatigué que s’il avait évolué sur un sol dur.
Le retour sur investissement de l’entrepôt de Réau est difficile à mesurer aujourd’hui du fait de la montée en puissance du système. Mais il a nécessité 40 millions d’euros d’investissement.
Les conséquences de l’automatisation
L’ensemble de ces modifications, notamment la réduction du port de charges lourdes, a permis de féminiser davantage les équipes de l’entrepôt. « Avant, nous n’avions aucune femme en préparation de commandes à cause de nos produits souvent lourds. Aujourd’hui, elles représentent la moitié de cet effectif », déclare Olivier Mangnier.
Autre constat : l’automatisation a fait émerger de nouveaux métiers liés à la certification des données et au contrôle des flux des machines, sans parler d’un besoin plus grand de spécialistes de la maintenance.
Enfin, la performance plus importante du système permet d’absorber davantage d’activité avec un effectif moindre, selon le directeur intralogistique. Sur ce point, l’exemple du logisticien Yusen, en Belgique, où la pénurie de main-d’œuvre est également un problème, est saisissant. Entièrement automatisé, son nouvel entrepôt, spécialisé dans le stockage de médicaments, emploie 14 caristes, alors que, dans une configuration traditionnelle, le double de cet effectif aurait été nécessaire.
Djamel Khamès, à Réau
Kion Anvers acte la transition de l’automatisation vers l’autonomie

Le groupe Kion, maison mère de Still, a inauguré le 1er octobre 2024 le Kion Automation Center d’Anvers. Il regroupe, sur une étendue de 11 800 m2, les services de R&D, de tests et de production personnalisée de solutions automatisées. Dédié à la région Europe/Moyen-Orient/Afrique, il compte quelque 400 employés, originaires de 40 pays différents. Ce centre se veut également respectueux des règles environnementales les plus strictes.
En janvier 2025, le groupe Kion a annoncé un partenariat avec Nvidia (fournisseur des technologies) et Accenture (chargé de l’intégration) pour optimiser les chaînes d'approvisionnement en recourant aux technologies avancées d'intelligence artificielle et de simulation. C’est aussi une façon d’acter la transition de l’automatisation (compétences déjà maîtrisées) vers l’autonomie (compétences en cours d’acquisition).
Dans le cadre de cet accord, Nvidia fournira à Kion des logiciels et des plateformes pour créer, notamment, des jumeaux numériques à partir de données collectées sur le terrain. Ces jumeaux devraient permettre de concevoir des configurations d'entrepôt plus efficaces et sûres, sans interrompre les opérations de test. Ils serviront également de terrain d'entraînement aux robots d'entrepôt, leur permettant ainsi de s'adapter aux variations de flux et de stocks, ainsi qu’aux changements d'agencement.
D. K. (Photo : ©AMM/D.KHAMES)
Sébastien Quadrao, directeur général de Still France : « L’automatisation, grand défi des prochaines années »
À l'occasion de la visite du centre de R&D du groupe Kion, à Anvers, le 30 janvier dernier, Sébastien Quadrao, le nouveau directeur général de Still France, évoque les évolutions techniques et organisationnelles qu’implique l’automatisation des entrepôts.
AMMag : Still a lancé plusieurs innovations en matière d’automatisation. Avec quel objectif ?
Sébastien Quadrao : Nous souhaitons démystifier l’automatisation. En effet, une idée trop communément reçue voudrait qu’elle ne s’adresse qu’aux grands groupes et aux multinationales… Or elle s’avère également profitable aux PME qui ont besoin d’augmenter leur productivité.
AMMag : Quels sont les défis que Still France aura à relever dans les prochaines années ?
S.Q. : Nous allons devoir accompagner la transition vers l'automatisation en investissant dans la recherche et le développement afin de proposer des solutions répondant aux besoins d'efficacité et de flexibilité de nos clients. Cela implique également l’intégration des nouvelles technologies dans nos chariots élévateurs pour améliorer leurs performances, leur connectivité et leur adaptabilité aux environnements industriels de demain. Nous allons également devoir faire face à un autre défi majeur : la transition énergétique face aux préoccupations environnementales, notamment par l’amélioration de l'efficacité énergétique afin de réduire les émissions de CO2.
AMMag : Quelle est la feuille de route de Still France pour les années à venir ?
S.Q. : Nous souhaitons développer les métiers de services. Les enjeux de demain se situent dans la segmentation du marché, avec la nécessité de consacrer des forces de vente dédiées à chacun d’eux. Actuellement, environ 65 % du marché français concerne la distribution et la logistique. Une troisième force, appelée « Territories », traite le reste des secteurs d’activité. Nous misons également beaucoup sur le commerce en ligne qui devient un marché fort. Par ailleurs, nous allons commercialiser cette année plusieurs nouveautés afin de gagner toujours plus de parts de marché et de visibilité. Le commerce en ligne représente un véritable atout pour la vente d’équipements simples. Cela permet de dégager du temps pour mieux nous concentrer sur les sujets à fort enjeu… sans négliger nos produits simples.
AMMag : Vos services couvrent l’ensemble de la chaîne de l’intralogistique. N’existe-t-il pas un risque que vos clients se retrouvent totalement dépendants de Still ?
S.Q. : En matière d’automatisation, si l’on souhaite obtenir de la productivité, il n’y a pas d’autre choix que d’apporter une solution totalement intégrée. Prenons un exemple : lorsque vous possédez un ordinateur Apple, un téléphone Samsung et une tablette d’une autre marque, ceux-là vont certes fonctionner ensemble, mais ils s’avéreront moins productifs que s’ils provenaient d’un seul et même fabricant. Dans l’automatisation, c’est la même logique : si vos outils dépendent du même prestataire, vous pourrez mieux optimiser leur usage. Par ailleurs, il s’agit de contrats dans la durée : si le client n’est pas content des services rendus, il est libre de remplacer son prestataire.
Propos recueillis par Christophe Duprez (photo : ©Still France)