La valeur du silence
Dire que « le silence est d’or » n’est pas une formule désuète.
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Par Michel Harmant (Cl. 161)
Publié le 2025-05-26
Invoquer les bienfaits du silence n’est pas dénué de sens. Notre vie est rythmée par des actes routiniers alternant avec des événements imprévus. Elle est émaillée de rencontres, de manifestations mêlant, le plus souvent, les signaux visuels aux signaux sonores. Par exemple, suivre un itinéraire en voiture, à deux-roues ou à pied pouvait être accompli, il y a encore trois décennies, en silence. Il suffisait de déchiffrer un plan ou une carte routière, et d’établir un lien avec la lecture des panneaux indicateurs. La signalisation, urbaine ou routière, était omniprésente, utile et efficace. Aujourd’hui, les panneaux indicateurs, les fléchages se font rares et sont trop souvent mal positionnés. Cela nous contraint à recourir aux services d’un guide robotisé, banalisé sous l’appellation « GPS ». Ce guide est sonore. C’est à la fois une commodité, car il n’est plus nécessaire de s’arrêter pour consulter un plan ou une carte, et un assujettissement, car le service procuré peut être défaillant. Une météo défavorable perturbant la propagation hertzienne de et vers les satellites, une panne informatique ou une négligence de mise à jour du logiciel de l’appareil sont susceptibles de nous mettre dans l’embarras.
Le brouhaha sonore qui berce notre quotidien est orchestré, notamment en France, par un État tentaculaire, omniprésent. Il n’a de cesse de réguler les moindres gestes de notre existence. Certains l’appellent « l’État providence ». Est-ce pour cela que son action n’en finit pas d’infantiliser la population ? Ses conseils généreusement déversés à nos yeux et dans nos oreilles par des médias qui nous dictent avec bonté ce que nous devons ressentir au quotidien et aussi de quelle façon nous devons appréhender l’avenir sont devenus familiers. Leur caractère étouffant est accueilli, par beaucoup, comme un bienfait protecteur. Pourtant, ce climat déresponsabilisant condamne les plus faibles d’entre nous à l’abandon, sans retour, de leur personnalité.
"Le brouhaha sonore qui berce notre quotidien est orchestré, notamment en France, par un État tentaculaire, omniprésent."
Devons-nous oublier que nous sommes des êtres pensants ? Sommes-nous conscients des dangers encourus lorsque l’on fait l’économie de la réflexion intime personnelle ? Il existe mille façons de réfléchir, de la plus brève abstraction jusqu’à la méditation monacale. Pour accomplir le geste salutaire de retour vers soi, il faut, avant tout, avoir la volonté de s’extraire du vacarme auditif et visuel environnant. Réapprendre le silence, c’est laisser la place à la surprise de l’inattendu, à la découverte ou à la redécouverte de la merveille oubliée, celle que le tumulte de la société a occultée. Notre liberté individuelle n’existe que parce que nous avons une conscience. Sa petite voix peine à se faire entendre parmi les bruits ambiants. Faute de sollicitations par une démarche volontaire de notre part, notre conscience s’enkyste. Elle n’accorde plus, à nos interrogations, l’attention nécessaire à notre santé morale. Notre jugement est parasité par trop d’apports extérieurs. Ces apports peuvent être bons, ou même indispensables, mais ils ne suffisent pas à justifier notre existence. Leur parole est utile, comme peut l’être l’argent, mais le silence, surtout s’il est intérieur, est d’or.
Le silence est un trésor dont la rareté magnifie la valeur.
Michel Harmant (Ch. 161)