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L’âge d’or des truands

L’âge d’or des truands
Entre le cynisme des dictateurs sanguinaires de l’Est et la cupidité, l’infantilisme et la brutalité apparus à l’Ouest, notre Europe heureuse, rebâtie patiemment sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale, doit trouver, 80 ans de paix plus tard, le chemin de sa survie.
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Par Jean-Baptiste Micewicz (Cl. 177)
Publié le 2025-05-26
L‘âge d’or, c’est l’ère nouvelle promise au peuple américain par le roi Trump 2, qui va rendre sa grandeur à l’Amérique. Il aura fort à faire pour cela, à l’allure où il la dévalorise. Il est en effet probable, au train où vont les choses, que l’âge annoncé vire au cauchemar, à l’opposé de ce qu’espéraient naïvement une bonne moitié du peuple américain et – plus cyniquement – l’essentiel de ses dirigeants économiques. Mais encore faudrait-il passer d’abord par la case « respect » (et non « crainte »), une gratification à laquelle le führer du Bureau ovale et son servile second chargé de la propagande semblent tenir beaucoup.  

Qu’on ne s’y trompe pas. Il ne s’agit point du respect pour la nation américaine, amie de longue date. Il s’agit de l’irrespect dont se rendent coupables tous ceux qui refusent de se prosterner devant le nouveau shérif, et on les comprend. Comment serait-ce possible devant un repris de justice, un violeur, un raciste, un chef de gang, à la tête d’une équipe de dessoudeurs (ou de tronçonneurs) sans foi ni loi et sans jugeote ? On le savait irrespectueux des femmes et copain d’un certain Epstein, climatosceptique, fort en gueule, envoyé par Dieu, ami des hommes forts, mégalomane et paranoïaque. Néanmoins, le gamin capricieux était encore entouré de quelques adultes expérimentés pendant sa première investiture (adultes dont certains dénoncent aujourd’hui le danger qu’il représente). Depuis le début de son second mandat, on découvre, serrant de près Néron(1), une bande de desperados infréquentables, dont « un bouffon sous kétamine chargé de l’épuration de la Fonction publique(2) », qui renversent la table et injurient leur propre peuple. Ainsi, en sus des qualités misérables dont Trump 1 pouvait se prévaloir, on découvre chez Trump 2 le parjure (il a prêté serment à la Constitution des États-Unis, qu’il bafoue à sa guise) ; l’apprenti sorcier (il confie des strates entières de l’État américain à un fou qui soutient l’AfD néonazie allemande et fait le salut hitlérien) ; le traître à son pays (il traite en ennemis les plus fidèles alliés et amis de l’Amérique, et flatte les pires dictateurs criminels du monde, reprenant à son compte le narratif du Kremlin). Il faut croire que la façon de procéder des Russes, qui consiste depuis toujours à accuser leurs victimes de tous les maux qu’ils leur font subir, convient au gamin spécialiste des « deals » et surtout cible d’intérêt du KGB depuis les années 1970(3). On a découvert, enfin, un racketteur, négociant avec un pistolet sur la tempe de son interlocuteur l’exploitation exclusive des terres rares de son pays, lui « le planqué du service militaire(4) » brutalisant un héros de guerre. Jamais le cynisme d’un État, par le biais de celui qui s’est déjà proclamé président le plus intelligent de toute l’histoire des États-Unis (que penser d’un homme qui s’autocongratule de telle façon ?!), n’aura été affiché avec autant de couardise et de désinvolture. Les mots manquent devant la nouvelle DATE OF INFAMY du 28 février.

L’âge d’or de la secte MAGA auquel pense son gourou, c’est celui des corrompus et des prédateurs se partageant le monde. C’est l’âge d’or des truands. À l’est, depuis des années et pour longtemps encore, une grosse station-service qui fabrique des bombes (seule source ou presque de son PIB, qui n’améliorera jamais la vie du peuple russe) est dirigée par un criminel et sa cour d’oligarques mafieux. À l’Ouest, une horde mercantile aux relents fascistes contrôle l’exécutif, le Congrès, la Cour suprême et les réseaux sociaux, et détruit avec une joie non dissimulée (on pense à la Schadenfreude) 80 ans de diplomatie d’une Amérique qui fut ouverte et généreuse. Et son tout nouveau Duce de donner des coups de menton(5) satisfaits lors de discours débiles et truffés de mensonges (mais plus c’est gros, plus ça passe) devant le Congrès américain. À regarder la vidéo montrant plus d’une moitié de l’hémicycle sous le Capitole se lever et hurler son soutien indéfectible après chaque phrase belliqueuse du fou, on se dit qu’il ne manque qu’une seule chose à tous ces commis fanatisés, mais qui viendra peut-être : le bras levé et tendu.

Il n’y a pas d’âge d’or, et il n’y en aura pas. Ou alors on n’a pas compris qui en seront les seuls bénéficiaires : des milliardaires qui s’enrichissent sur le dos de leurs compatriotes et ne valent pas mieux que les oligarques de la kleptocratie russe avec laquelle les liens, au moins ceux du chef de gang devenu POTUS, sont confirmés dans les faits par ses actes. Il n’y a qu’un veau d’or, le dieu argent, la seule « valeur » que des incultes sans valeur parvenus au pouvoir respectent, et c’est probablement la même idole qui maintient dans une obéissance courtisane une grande partie desdits républicains du GOP(6). Nul doute que le respect en retour pour ces gens-là, tant demandé par leurs chefs (dans leurs rêves) n’est pas près de voir le jour. L’asservissement à leurs diktats, peut-être, à Dieu ne plaise ; mais le respect, jamais. Aucune chance d’avoir un jour une station de métro ou une avenue Trump, ou Vance, ou Musk, à Paris, ni à Ottawa, Copenhague ou Mexico. Pas même une impasse sordide.
Pour autant, restons conscients que, chez nous aussi, en Europe, de grands pervers savent utiliser tous les leviers modernes à leur disposition (réseaux sociaux et fake news) pour conquérir un jour des peuples entiers fatigués de leurs élites et de leur relatif bien-être. Faisons confiance pour cela aux extrêmes déjà à l’œuvre, dont les idées réactionnaires et la sympathie pour Poutine et Trump sont connues. Elles vont s’afficher de plus en plus ouvertement et elles feront florès chez les plus faibles et les plus ignares. C’est d’autant plus possible pour notre pays qu’il a une mémoire lacunaire. Les plus déçus se diront « et pourquoi ne pas essayer ? », et ce sera le début du triomphe des incapables et des apprentis dictateurs. Ne nous croyons surtout pas à l’abri d’une intoxication à grande échelle. Regardez les Britanniques, qui ont cru des menteurs et des charlots les poussant au Brexit, ce qu’ils regrettent amèrement aujourd’hui…

Le malheur veut qu’à l’Est les dictateurs soient assurés de régner indéfiniment par la manipulation des élections et l’utilisation d’un appareil répressif féroce à leur solde… Le même malheur veut qu’à l’Ouest un peuple infantile, ignorant et versatile chasse tous les quatre ans le locataire de la Maison-Blanche pour y installer un autre. Un sénile et/ou un gamin élu grâce à l’argent. Cette fois, le gamin est un grand malade entouré d’ultras, et cette bande pyromane va envoyer toute la planète dans le mur.

Alors, un respect prétendument dû à ces gens sans honneur ? No chance. Le respect va naturellement, spontanément, à ceux qui versent leur sang et meurent pour leur liberté et la nôtre.


Jean-Baptiste Micewicz (Cl. 177)


(1) Pour reprendre le mot de l’excellent sénateur Claude Malhuret, le 6 mars 2025, dans son adresse au Sénat.
(2) Du même.
(3) Selon Régis Genté, auteur de Notre homme à Washington – Trump dans la main des Russes (Grasset, octobre 2024). De même qu’un Russian Asset, selon Craig Unger dans House of Trump, House of Putin (Dutton, août 2018).
(4) Du même sénateur Claude Malhuret.
(5) L’analogie dans la posture virile est frappante ; c’en serait même comique, si ce n’était pas si grave.
(6) Le Grand Old Party, c’est-à-dire les républicains.