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Des treillis pour l’industrie
On n’assiste pas tous les jours à la naissance d’un nouveau procédé de fabrication industriel, qui plus est dans l’Hexagone ! Créée en 2023, la start-up Tetmet, spécialisée dans la fabrication de treillis 3D en acier, aux multiples avantages environnementaux, ambitionne de mettre en œuvre une première ligne de production d’ici à 2027. Elle vient d’obtenir, le 2 avril 2025, à Paris, dans les locaux de l’Automobile Club de France, le Grand Prix ACF AutoTech 2025.
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Par Christophe Duprez
Publié le 2025-05-23
Le projet est né il y a quinze ans dans un laboratoire aux Pays-Bas. Dans le cadre de ses recherches, le fondateur et directeur général de la start-up Tetmet, Tom Vroemen, ingénieur en mécanique passé par l’Executive MBA d’HEC Paris, s’intéresse au treillis.
Pour l’expliquer, Rachel Azulay (Ai. 217), responsable de l’ingénierie d’application chez Tetmet, prend l’image de la tour Eiffel : « L’ensemble est particulièrement résistant alors qu’il est constitué de poutres, sans qu’il y ait besoin d'avoir de la matière partout. Le treillis, qui appartient à la famille des matériaux architecturés, reprend ce principe-là… mais de manière miniaturisée. »
Si les matériaux architecturés sont connus depuis quelques années déjà, ce procédé sophistiqué d’assemblage de tiges métalliques, qui associe microsoudage et découpe laser, est en revanche totalement nouveau.
L'avantage majeur de ce procédé baptisé « Adaptive Space Lattice Manufacturing » (ASLM) réside dans la réduction de masse : la matière est placée exclusivement là où elle est nécessaire. Mais ces arrangements de poutres possèdent des propriétés mécaniques encore plus intéressantes. Ils peuvent ainsi trouver toute leur utilité dans des applications de dissipation d’énergie, de filtrage, de renforts, voire dans des agencements qui empêcheraient des changements de dimensions dus à la dilatation thermique. Le fait qu’ils soient creux autorise, en outre, le passage de câbles, et l'air qui y circule s’avère précieux pour certaines applications. Enfin, cette solution est aussi frugale que circulaire grâce à un procédé de production économe en énergie et au recours à une seule matière, en l’occurrence l’acier, recyclable de surcroît.
Mais, en 2010, il est encore trop tôt pour penser l’appliquer à l’industrie. Tom Vroemen imagine en effet une solution à base d’intelligence artificielle dotée d’algorithmes programmés pour l’apprentissage automatique (« machine learning ») et de robotique. Ces technologies, insuffisamment mûres il y a quinze ans, se sont entretemps développées, ce qui permet à l’ingénieur néerlandais de travailler, dès 2023, en étroite collaboration avec un spécialiste du machine learning. La robotique, quant à elle, s’avère beaucoup plus accessible financièrement. Qui plus est, le marché est demandeur de structures allégées, économes à la fois en énergie et en matériaux. Tetmet voit le jour.
TREILLIS MILITANT
Pour élaborer son treillis, la start-up, forte aujourd’hui d’une douzaine de collaborateurs, utilise un robot à six axes standard qu’elle démonte en partie pour l’adapter. Celui-ci se voit alors augmenté d’un système de distribution de fil, pour le moment exclusivement en acier, un alliage économique et abondant. D’autres matériaux viendront à terme enrichir le catalogue. Le robot reçoit également un laser en fibre optique. Ce dernier découpe la bobine de fil métallique, le matériau de base de la structure à fabriquer, en petites tiges qu’il assemble ensuite en les soudant, au fur et à mesure, de manière à obtenir une pièce.
Si le robot ne nécessite qu’une simple prise électrique pour fonctionner, le soudage, qui recourt à du gaz argon, est réalisé sous atmosphère protectrice. Ce gaz est distribué à la jonction du rayon laser et de l’extrémité du fil, dans le but d’ôter l’oxygène en ce point précis afin d’éviter toute oxydation de la soudure.
Tetmet a par ailleurs développé deux logiciels, l’un pour concevoir des treillis optimisés et l’autre pour contrôler les robots. L’outil de conception est un « plug-in » (en bon français : un module d’extension), pensé pour se greffer à des logiciels existants via une interface qui leur apporte de nouvelles fonctionnalités. « L’équipe de l’ingénierie d'applications, que je dirige, met au point un premier design, amélioré au fur et à mesure de nos simulations et de l’apport de connaissances concernant, notamment, les endroits critiques et l’orientation des barres, explique Rachel Azulay (Ai. 217). À terme, l’enjeu consistera à enrichir notre logiciel de design [de conception, ndlr] de solutions d'optimisation capables d’aider ses utilisateurs à concevoir eux-mêmes des pièces, sans notre assistance. »
 
LES PROCHAINS DÉFIS À RELEVER
Avant de pouvoir opérer le passage à l’industrie (voir notre encadré « En route vers l’industrialisation »), Tetmet doit en effet parvenir à relever trois grands défis.
La start-up travaille depuis son laboratoire de la Grande Arche, à La Défense, aux deux premiers, étroitement liés : la qualité et l’automatisation. « Pour le moment, c’est le contrôle visuel des soudures qui nous donne les indications sur la qualité », explique Nicolas Chaignet, directeur commercial de Tetmet. L’équipe s’applique ensuite à modifier une multitude de petits paramètres – le serre-fil, les ressorts, la distribution de gaz, l’énergie du laser… – pour corriger les imperfections. Or le but est d’automatiser progressivement cela.
Actuellement, un opérateur lance chaque étape de production après avoir validé visuellement les éléments nécessaires à la parfaite exécution d'une tâche. Certaines de ces démarches se montrent particulièrement complexes, comme l’évaluation de la distance, du positionnement des tiges ou encore de la qualité de la soudure. L’objectif est de ne lui laisser que la supervision générale du procédé. Ce qui s’avère possible grâce aux progrès de l’apprentissage automatique supervisé, de plus en plus capable de déceler les erreurs et les paramètres à modifier.
À ce jour, le procédé de fabrication des treillis n’est pas totalement automatisé et requiert encore partiellement une réflexion, une intervention et un contrôle humains. L’objectif consistera donc à réduire progressivement cet apport pour parvenir à une solution entièrement gérée par la machine.
En revanche, le troisième défi, la rapidité d’exécution, ne pourra être relevé que directement sur les sites de production. Dans son laboratoire, la start-up est en effet bridée par l’absence d’équipements de protection sur ses robots, ce qui l’empêche de les faire fonctionner à une vitesse élevée. Chez ses partenaires, elle pourra optimiser le procédé sans limitation, voire associer, en fonction des pièces à élaborer, plusieurs robots qui collaboreront. « C’est ainsi que nous parviendrons à remplir les objectifs, notamment de l'automobile, demandeuse de cadences rapides », précise Nicolas Chaignet.
 
DES COLLABORATIONS AVEC LES GRANDS SECTEURS INDUSTRIELS
Si Tetmet ne peut, pour des raisons de confidentialité, dévoiler l’identité des principaux acteurs avec lesquels elle collabore, Nicolas Chaignet confesse travailler en majorité avec le secteur de l’automobile, voire avec de grands constructeurs européens.
Ce constat s’explique par la pression qu’exerce l’arrivée massive de la concurrence chinoise sur le marché, forçant les fabricants occidentaux à se montrer plus performants. Ces derniers doivent également se réinventer, en allégeant notamment leurs véhicules pour des problématiques d'homologation : si les voitures n'affichent pas un certain poids sur la balance, elles n’intégreront pas la catégorie visée, avec des conséquences sur le régime fiscal.
L’enjeu de la perte de masse alliée à la résistance explique aussi des collaborations privilégiées dans les secteurs de l'aérospatiale (lanceurs et satellites en particulier), de la défense, du ferroviaire ou encore des machines industrielles, dont les fabricants cherchent à alléger leurs produits pour les rendre moins énergivores.






Le treillis 3D en acier épouse tout type de forme. (© TETMET)



À l’avenir, plusieurs robots seront capables de collaborer sur une même chaîne. (© TETMET)


Tom Vroemen, fondateur et directeur général de Tetmet (à gauche sur la photo), et Nicolas Chaignet, directeur commercial. (© TETMET)

 
En route vers l’industrialisation
L’objectif de la start-up ne consiste pas à produire en série dans une usine estampillée Tetmet, mais à équiper de son logiciel les robots des lignes de production des clients, le modèle économique s’appuyant sur la vente de licences.
Dans ses locaux de la Grande Arche, à La Défense, son activité se limite à reproduire en treillis des pièces existantes soumises par les industriels qui souhaitent les alléger, en attendant d’en concevoir des originales, impossibles à réaliser en dehors de sa technologie ASLM.
Ce site repose donc essentiellement sur le laboratoire dédié à la recherche et aux preuves de concept, même s’il lui arrive occasionnellement, pour des clients dans l’aérospatiale notamment, de produire une pièce unique ou en très petite série.
Les choses devraient rapidement s’accélérer avec une première ligne de production automobile équipée au plus tard en 2027.




Lauréat du Grand Prix ACF AutoTech 2025
Ils n’étaient plus que trois à pouvoir prétendre emporter, le 2 avril 2025, à Paris, dans les locaux de l’Automobile Club de France, le Grand Prix ACF AutoTech 2025. Ce prix international récompense depuis 2017 les start-up les plus innovantes du secteur automobile de la planète. « Nous avons postulé sur les conseils de différents contacts, parmi lesquels plusieurs de nos clients et le pôle de compétitivité européen de la mobilité Nextmove, auquel nous adhérons », précise Nicolas Chaignet, le directeur commercial de Tetmet. Des conseils avisés puisque Tetmet l’a emporté, obtenant aussi bien les suffrages du public que ceux du jury constitué de grands noms de cette industrie.




Tom Vroemen et Rachel Azulay (Ai. 217) se sont vu remettre le Grand Prix ACF AutoTech 2025 le 2 avril dernier à l’Automobile Club de France, à Paris.(© QUENTIN VAQUEZ)