Industrie / Reportage
Chanel se convertit aux robots-logiciels et au no-code

Chanel se convertit aux robots-logiciels et au no-code
La pénurie d’informaticiens-codeurs est a priori un gros souci pour les entreprises lancées dans la numérisation de certaines de leurs tâches. La maison Chanel a décidé de transformer ce problème en opportunité en recourant aux robots-logiciels et au no-code. Ces technologies permettent de concevoir rapidement des solutions ajustées aux processus métiers tout en diminuant sensiblement les coûts.
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Par Djamel Khames
Publié le 2023-06-30
« Libérer les salariés des tâches informatiques chronophages, peu valorisantes et à faible valeur ajoutée était et reste un objectif de Chanel. Après réflexion, la solution choisie s’est portée sur l’installation de robots-logiciels, d’autant plus facilement que les informaticiens sont de plus en plus difficiles à recruter », assure Grégory Dupuy (Cl. 203), responsable du pôle « Processus et Automatisation » (P&A) de Chanel pour la région Europe. Le groupe Chanel a adopté, il y a trois ans environ, la technique de l’automatisation robotisée des processus ou « robotic process automation » (RPA). « Nous l’utilisons pour automatiser les tâches informatiques les plus répétitives. En effet, la RPA permet par exemple de créer des robots virtuels capables de reproduire, à l’aide d’une intelligence artificielle, le type de réponse qu’apporterait un salarié à certaines problématiques. À ces robots, nous attribuons un identifiant calqué sur celui du salarié concerné afin qu’il puisse avoir accès à sa messagerie électronique, à Excel, aux ERP et autres logiciels métiers », explique Grégory Dupuy. Le robot-logiciel se substitue donc à l’employé pour les tâches simples et répétitives comme relancer les fournisseurs (service comptable), vérifier les informations relatives aux employés (service des ressources humaines), confirmer l’arrivée prochaine d’une cargaison de produits cosmétiques (service logistique), etc. Chanel l’utilise, par exemple, pour ajuster les données de ses fournisseurs en consultant à intervalles réguliers le site de l’Insee à l’aide de filtres, tel le numéro Siren. Selon Grégory Dupuy, « obtenir des informations sur de potentiels changements d’état juridique, d’adresse ou d’activité est capital pour réduire les risques quand on travaille avec 9000 fournisseurs ». Une trentaine de robots sont déjà fonctionnels depuis la création, en avril2022, du pôle qui en a la responsabilité. Ces derniers peuvent être actionnés via une interface homme-machine (application sur smartphone, tablette ou ordinateur) ou exécutés automatiquement sur des machines virtuelles. Et quand l’un d’eux peut être dupliqué, ou ses fonctionnalités réutilisées pour d’autres services que celui pour lequel il a été développé, le pôle en fait la promotion en interne auprès des potentiels intéressés.
COÛTS ET DÉLAIS FAIBLES
Le recours à un robot-logiciel présente de nombreux avantages, notamment financiers. Chez Chanel, l’application de contrôle des fournisseurs a coûté quelques dizaines de milliers d’euros, auxquels il convient d’ajouter quelques centaines d’euros par mois pour la maintenance. Le développement de telles solutions a été raccourci à trois mois. » Avec des coûts et des délais aussi faibles, il est donc tout à fait envisageable de construire des applications temporaires, remplacées à terme par des logiciels dédiés. Le pôle P&A de la maison Chanel se définit comme une usine de robots-logiciels et d’applications associées. Pas question toutefois de travailler en solo, souligne Grégory Dupuy : « Notre pôle crée en concertation avec les utilisateurs. Nous présentons aux intéressés ce que nous sommes capables de faire sans oublier d’insister sur la cybersécurité. Aux salariés de nous dire ensuite leurs besoins et leurs priorités. Puis vient le déroulé classique “faire-tester-adopter”. » Composé d’une équipe pluridisciplinaire de près d’une dizaine de personnes, ce pôle s’appuie aussi sur les ressources humaines du service informatique du groupe Chanel, notamment pour la gouvernance des plateformes logicielles, la cybersécurité et la cohérence entre les différents projets informatiques. La mise en œuvre d’un robot-logiciel induit un certain niveau de compétence, laquelle est aujourd’hui centralisée dans le service dirigé par Grégory Dupuy. Toutefois, avec l’arrivée des technologies no-code, ce pôle cherche également à donner de plus en plus la main aux équipes métiers non seulement pour la maintenance des robots mais aussi pour l’automatisation de tâches très spécifiques.
MIEUX QU’UNE API
Dans les grandes sociétés coexistent plusieurs logiciels souvent difficiles à interconnecter, même à l’aide d’interfaces de programmation d’application, communément appelées par leur sigle anglais « API (1) ». « Les salariés pallient cette impossibilité par des actions et des analyses manuelles et répétitives, des exports, des échanges directs via des courriers électroniques. Il arrive aussi qu’ils ne pallient rien du tout... », rappelle Grégory Dupuy. Une API est un mini programme informatique faisant interagir des logiciels tiers. Pour la créer, le développeur recourt aux « briques » (fournies par l’éditeur du logiciel) qui permettent la connexion et les échanges de données. Deux logiciels différents reliés par une API sont donc en mesure de communiquer. Cette interface fait office, en quelque sorte, de traducteur-interprète. Mais, comme nous l’avons vu, les codeurs sont difficiles à recruter, et le recours à la sous-traitance informatique se complique. En parallèle, «81% des entreprises éprouvent un manque de logiciels et d’applications vraiment personnalisés à leur activité », souligne la société Ksaar, spécialisée dans le no-code. Ces écueils favorisent le développement de cette technologie aussi bien dans les ateliers que dans les bureaux. Chez Chanel, l’un des premiers chantiers s’est concentré sur Excel, le logiciel le plus utilisé dans le monde pour combiner ou transformer des données. « L’outil no-code que nous utilisons, baptisé “Power Query” par Microsoft, autorise l’automatisation de certaines opérations en recourant aux fichiers de données déjà existants dans des répertoires ou des bases, sans se priver par ailleurs du recueil automatique d’informations dans les courriers électroniques ou sur les sites web. Associé à SharePoint, Power Query peut automatiser la transformation et l’enrichissement de données nouvellement créées dans le cloud », détaille Grégory Dupuy.
PLUS D’AUTONOMIE POUR LE TERRAIN
Plus concrètement, le no-code permet de vérifier, par exemple, si tous les prix répertoriés dans les différentes banques de données sont corrects. La formation des salariés à cette technologie s’avère plutôt simple et rapide. Elle leur donne de l’autonomie tout en apportant un gain colossal en matière de temps de traitement, mais aussi, parfois, de stockage. Les disques durs sont moins sollicités, car les informations générées par le no-code transitent par la mémoire RAM (mémoire tampon). Dans certains cas, ce dernier réduit donc l’impact carbone! D’autres applications sont encore possibles comme la construction, en un temps record, de solutions de relance automatisée des clients ou d’assistance à des questions fréquentes, ou encore une analyse budgétaire répétitive. « L’usage du no-code est si simple et efficace que de nombreux salariés nous sollicitent pour valider leurs idées. Ils prennent la main, notamment sur des applications légères qui facilitent leur quotidien mais auxquelles les responsables des systèmes d’information de Chanel ont du mal à répondre à cause de procédures plus lourdes [que celle du pôle P&A, ndlr]et du silotage des services. Chez Chanel, l’avenir s’écrit à l’évidence en no-code. «Les ingénieurs généralistes, notamment ceux de l’Ensam ,doivent porter un regard attentif aux robots-logiciels et au no-code, car ils ont un fort impact sur les organisations», conclut Grégory Dupuy.