Technologie / Energie
Les carburants alternatifs, une solution transitoire ?

Les carburants alternatifs, une solution transitoire ?
En attendant que les moteurs électriques ou à hydrogène équipent la flotte aéronautique mondiale, il existe, sur le papier, une solution intermédiaire moins nocive pour le climat que l’essence ou le kérosène issus d’hydrocarbures d’origine fossile. Là aussi, il faudra triompher d’obstacles colossaux pour gagner la partie. 
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Par Djamel Khames
Publié le 2023-08-22
Qu’est-ce qu’un carburant alternatif ? Dénommé « carburant d’aviation durable » (CAD ou SAF en anglais), il est issu des déchets agroalimentaires (huiles usagées, graisses animales, déchets végétaux, déchets domestiques...) ou de procédés de synthèse. Les premiers, appelés « biocarburants », sont mélangés depuis longtemps à l’essence des voitures (E10, E15...). On sait donc les produire à l’échelle industrielle. Pour mémoire, Air France avait réalisé, enmai2021, un vol Paris-Montréal avec 16% d’huiles de cuisson recyclées. « Les seconds, étiquetés “électrocarburants” (ou e-carburants), sont réalisés, pour l’instant, en laboratoire par la recombinaison de l’hydrogène et du carbone provenant du CO2. De fait, on recrée une molécule qui a les caractéristiques des carburants d’origine fossile. Si le carbone employé est capturé à la sortie des cheminées d’usine ou de la biomasse, le bilan carbone devient nul. En effet, on ne supprime pas de carbone mais on n’en crée pas non plus. Au mieux, cette solution permettra de ne pas alourdir l’empreinte carbone des avions », déclare Laurent Bizieau, responsable de l’écosystème « propulsion et énergie embarquée » du pôle de compétitivité Aerospace Valley. Ajoutons que la production de kérosène ou d’essence d’origine fossile est fortement émettrice de gaz à effet de serre(GES) au moment de leur extraction et de leur raffinage, deux étapes absentes dans la production de CAD. Cependant, ces derniers émettent autant de CO2 que les carburants fossiles. Sur le plan réglementaire, la Commission européenne a publié l’initiative « ReFuelEU Aviation ». Ce texte impose aux vols intra-européens un pourcentage progressif de carburant durable, mélangé au kérosène: 5% en 2030, 20% en 2035 et 80% en 2050.
DES CAD TRÈS CONVOITÉS
L’idée est géniale sur le papier mais, dès que l’on met en parallèle les volumes de CAD actuellement produits et ceux de carburant consommés par les avions à l’échelle mondiale, l’objectif européen relève du grand défi. À ce jour, l’aviation brûle 340millions de tonnes de kérosène par an. « Ces volumes atteindront de 500à 600millions de tonnes en 2050, rappelle Laurent Bizieau. Proportionnellement, à la même date, on estime à six millions le tonnage de CAD nécessaire aux avions décollant et atterrissant en France. Aujourd’hui, la production totale mondiale s’élève à 400000 tonnes seulement. » Les biocarburants, pris individuellement, font face à un autre problème. Les huiles et graisses collectées doivent provenir de déchets organiques (déjà transformés) et non de terres pour cultures vivrières ou de forêts. À cette difficulté s’additionne une seconde: si elle est techniquement réalisable, l’augmentation de la production de biocarburants se heurte toutefois à la concurrence entre les filières de destination: faudra-t-il privilégier les transports routiers, les réseaux de chaleur ou les compagnies aériennes? Sachant qu’il n’y aura pas assez de biocarburant pour tous, quelle filière s’imposera? Enfin, quid du coût de production, de quatre à cinq fois plus élevé que celui des carburants fossiles? Les biocarburants, si l’aviation peut en avoir suffisamment, présenteront une solution transitoire intéressante le temps que les avions électriques et/ou à hydrogène arrivent à maturité technique.
EN ATTENTE DES CARBURANTS DE SYNTHÈSE
Il existe un peu moins d’une dizaine de carburants de synthèse compatibles avec les moteurs ou turbopropulseurs d’avions. Ceux-là ont un avantage sur les biocarburants: ils n’ont pas besoin de déchets pour être produits. En effet, les ressources en carbone et en hydrogène peuvent être obtenues à très grande échelle. Pour être utilisé, le e-carburant doit auparavant sortir du laboratoire, puis de l’usine... sans omettre l’étape de la certification. Nous ne parlons là que de la faisabilité technique. En effet, un autre paramètre complique notre équation: pour que le e-carburant puisse conserver une étiquette neutre en carbone, le procédé qui permettra de le fabriquer doit impérativement être alimenté par une énergie électrique bas carbone. L’hydrogène, qui entre dans la formulation du carburant de synthèse, dérèglement être issu d’un procédé vertueux. Le rendement énergétique due-carburant interroge aussi: une voiture électrique avec batterie présente un rendement d’environ 75% de la production d’électricité à la roue, une voiture hydrogène (issu d’électricité verte) environ 25%. Ce rendement descend moins de 15% pour une voiture thermique alimentée par un e-carburant liquide. Des spécialistes annoncent par ailleurs des montants astronomiques pour la construction et la mise en œuvre de sites de production de carburants de synthèse. On parle d’un coût dix fois supérieur à celui de la production de carburants fossiles. Alors, y a-t-il un intérêt économique à le fabriquer? Enfin, pour fabriquer de l’hydrogène vert et du e-carburant, il faudra accroître la production d’électricité verte. À cet exercice, quel est le pays capable de générer une énergie électrique largement décarbonée? La France a, de toute évidence, une carte à jouer, d’autant plus que le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) et EDF s’affrontent pour sortir le premier « SMR » (small modularreactor), un petit réacteur nucléaire adapté aux sites de production industriels. Ils prédisent un premier exemplaire en exploitation d’ici une dizaine d’années, période probablement nécessaire à la fabrication rentable de carburants de synthèse.