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La force du consensus

La force du consensus
Le consensus est utile à la formation d’accords largement partagés. Cela permet à la société de fonctionner dans une sérénité relative. La prolifération de la recherche du consensus présente cependant un danger, celui d’établir et de consolider des doctrines qui mériteraient, pour le moins, d’être exposées à la contradiction.
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Par Michel Harmant (Ch. 161)
Publié le 2025-02-27
 
La force du consensus s’exercera sans partage sur les peuples tant que les individus, en toute crédulité, donneront la préférence aux fantasmes séducteurs des idéologies.

Les exemples, de nos jours, sont nombreux. Le public en est victime, sans avoir pris conscience des dangers auxquels il s’expose, par adhésion innocente à la démarche consensuelle. Les difficultés commencent lorsque ce public confère aux idéologues la conduite de l’opinion. Les architectes d’un consensus sont alors mis à l’abri de la réfutation. L’idéologie peut s’installer confortablement, sous la protection du consensus obtenu, parfois, de haute lutte.

Le monde médiatique se sent investi d’une mission première qui est d’informer, si possible sans exagérer le tri des informations, car ce serait porter des jugements et outrepasser ses prérogatives. S’il existe, le tamis par lequel passent les informations est fait d’une maille à géométrie variable. S’attaquer à un consensus comporte des risques pouvant mettre en danger la vie du support qui se serait fait l’interprète de cette attaque. L’éditeur en est conscient.
Le monde académique, quant à lui, est accoutumé aux confrontations d’idées. Les scientifiques sont rompus à l’exercice de recherche de la vérité, ou de ce qui s’en rapproche. Leur démarche est caractérisée par l’observation, l’élaboration de théories soumises à la critique par les pairs, et la confrontation aux données accumulées et aux observations contradictoires. La remise en cause d’une théorie est rarement traumatisante pour son auteur. Il en tire les leçons qui l’aideront dans sa progression.

Les idéologues mal intentionnés, ou seulement malhonnêtes, ne rencontrent, de la part du monde médiatique comme du monde académique, que peu d’obstacles à leur entreprise, dont les objectifs sont la plupart du temps masqués. Ils cherchent à se construire un pouvoir donnant accès à la notoriété et à la richesse qui en découle. En cultivant à l’excès leur thèse, les idéologues sont tentés de prétendre avoir le monopole de la vérité à son sujet. Cela est compréhensible. Mais les idéologues ont aussi tendance à étendre leur esprit de monopole intellectuel à des domaines qu’ils connaissent moins. Les incompréhensions prennent alors naissance. Mais l’attrait du consensus prend le pas sur l’engagement au combat pour la vérité. Faute de controverse active, le dialogue se dilue, puis s’éteint. Le débat est verrouillé, laissant le champ libre à l’accueil du consensus salvateur devenu, dans la main du manipulateur indélicat, un instrument de pouvoir.

La force du consensus s’exercera sans partage sur les peuples tant que les individus, en toute crédulité, donneront la préférence aux fantasmes séducteurs des idéologies et se retrancheront dans le confort d’une uniformité trompeuse. L’histoire nous enseigne que les opinions bernées, en savourant le consensus acquis, s’apprêtent à sombrer dans de sinistres compromissions.

Michel Harmant (Ch. 161)