Industrie / Portrait
Parcours : Paul Tufféry (Bo. 216)

Parcours : Paul Tufféry (Bo. 216)
« Pour un ingénieur, la Fonction publique offre des carrières passionnantes »
 
À 28 ans, Paul Tufféry (Bo. 216) a rejoint la Direction des achats de l’État (DAE), rattachée au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Il explique ce choix de carrière ainsi que les besoins de l’administration française en ingénieurs qualifiés pour mener les politiques publiques.
 
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Par Propos recueillis par Éric Roubert
Publié le 2025-02-27

Arts & Métiers Mag : Vous travaillez à la Direction des achats de l’État. Pouvez-vous nous expliquer sa mission et votre rôle dans cet écosystème ?
Paul Tufféry (Bo. 216) :
La Direction des achats de l’État est rattachée au ministère de l’Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique. Elle a un rôle de chef d’orchestre pour les achats : elle coordonne les acheteurs des ministères et des établissements publics. C’est grâce à elle que chacun des 45 milliards d’euros d’achats annuels (10 % du budget de l’État) permet d’accélérer le verdissement de l’économie et l’innovation, de soutenir des milliers d’entreprises françaises et de renforcer notre indépendance stratégique. C’est à ces deux derniers objectifs que je contribue en tant que chef de projet, au sein d’une équipe du ministère. J'élimine ce qui freine les entreprises françaises à répondre à la commande publique, pour certains secteurs jugés stratégiques par le gouvernement. Pour cela, je construis avec les entités publiques des règles d’achat qu’appliquent ensuite tous les acheteurs de l’État, et je les accompagne dans ces changements.AMMag : Qu’est-ce qui vous a mené du secteur privé au secteur public ?
P.T. : C’est un aller-retour entre public et privé. Ma première expérience professionnelle s’est déroulée dans le secteur public, comme officier de marine. Pendant cinq mois d’opérations extérieures à bord d’une frégate, en Méditerranée et en Afrique, j’ai appris la gestion d’équipe, la prise de décision dans l’urgence et l’incertitude, et l’adaptabilité à des milieux souvent changeants. C’est cependant dans le conseil, chez Avencore, que j’ai véritablement plongé au cœur des enjeux industriels. Pendant quatre ans, j’ai dirigé une douzaine de missions pour des entreprises industrielles afin d'optimiser leur compétitivité, de réduire leurs coûts et de structurer leurs projets. Rejoindre la Fonction publique m’a semblé être une suite logique : mettre cette expertise au service de la souveraineté économique du pays, en utilisant la commande publique comme levier de transformation. C’est ma manière d’assouvir ma soif d’industrie, tout en élargissant l’impact de mon travail, car mes actions soutiennent cette fois-ci des centaines d’entreprises industrielles !

AMMag : L’État a donc une forte influence sur le secteur privé, malgré l’autonomie des entreprises ?
P.T. : Absolument !
L’État agit comme un guide stratégique : il définit des priorités d’intérêt général à travers ses politiques publiques – transition écologique, transformation numérique, réindustrialisation, par exemple. Les décideurs politiques fixent les orientations stratégiques en fonction des priorités du moment, tandis que l’administration publique en assure la traduction concrète et durable auprès du secteur privé. C’est ce mécanisme qui garantit non seulement l’impulsion initiale du politique, mais aussi la continuité et la cohérence des actions prises par l’administration, même dans un contexte d’instabilité politique.
Pour transformer ces priorités en réalité économique, l’État peut agir par des subventions – comme le programme France 2030, qui mobilise 54 milliards d’euros sur cinq ans pour promouvoir l’innovation et la compétitivité des entreprises. Il peut aussi utiliser des incitations fiscales, par exemple pour encourager les entreprises à investir dans l’innovation et les projets stratégiques. Mon métier utilise un autre levier, la commande publique, qui représente plus de 15 % du PIB français selon l’OCDE [Organisation de coopération et de développement économiques]. Sa particularité, c’est d’agir de manière directe et immédiate sur le marché, car elle oblige les entreprises à s’adapter immédiatement pour répondre aux exigences des appels d’offres. Par exemple, une politique de verdissement des achats publics incite les entreprises à adopter des pratiques plus écologiques pour accéder aux marchés publics. Ce mécanisme les pousse à innover et à se réinventer, devenant ainsi un puissant levier pour transformer l’économie tout en soutenant la transition vers un modèle plus durable.

AMMag : Les ingénieurs Arts et Métiers ont-ils leur place au sein de l’État ?
P.T. :
Plus que jamais, et je m’en suis vite rendu compte ! Je déplore de ne voir qu’une petite centaine de Gadzarts dans le secteur public en scrutant l’annuaire, alors que c’est aussi intéressant pour l’employeur que l’employé. L’État a besoin d’ingénieurs qualifiés pour mener ses politiques publiques. Il existe, certes, de grands corps influents d’ingénieurs comme les Mines, les Ponts, l’Armement, mais ils représentent finalement peu de personnes. À mon sens, le profil Gadzarts est particulièrement pertinent : il allie la polyvalence technique que nous donne notre formation généraliste, un fort pragmatisme par notre capacité à conjuguer théorie et pratique pour mettre en œuvre des solutions concrètes, et l’esprit d’équipe qu’on nous connaît bien, si utile dans des grandes organisations diversifiées. Je vois bien combien cela m’aide lorsqu’il faut mettre d’accord une dizaine de ministères différents sur de nouvelles règles d’achat ! Et, pour un ingénieur, la Fonction publique offre des carrières passionnantes : c’est exaltant d’avoir un impact si concret sur la vie des citoyens et des entreprises, tout en travaillant sur des projets structurants pour la vie du pays, tant pour l’énergie que pour le numérique et la défense. Les missions sont très diversifiées et font souvent intervenir aussi bien les administrations publiques que les entreprises du secteur privé. On y développe des compétences clés, comme une vision systémique et à long terme, ou encore l'art de la négociation. Enfin, toutes ces interactions conduisent à rencontrer énormément d’interlocuteurs en permanence et ainsi à développer un réseau étendu et influent. Cela crée des profils très intéressants pour les entreprises en cas de reconversion dans le privé. En outre, beaucoup de barrières à l’entrée ont sauté ces dernières années : les concours restent obligatoires pour acquérir le statut de fonctionnaire, mais de nombreux postes sont ouverts aux contractuels, comme n’importe quel poste dans le privé. Les rémunérations peuvent être compétitives, et les avantages sont nombreux. Si l’on conjugue tout cela avec l’intérêt des postes, l’État représente une opportunité à ne pas manquer pour un Gadzarts !
 
Paul Tufféry (Bo. 216), 28 ans
Depuis 2024 : chef de projet à la Direction des achats de l’État, rattachée au ministère de l’Économie.
2020-2024 : consultant puis manager chez Avencore, cabinet de conseil auprès des directions générales sur leurs enjeux de croissance, de compétitivité, de transformation et de décarbonation.
2018-2019 : officier chef du quart à la Marine nationale.
2016-2020 : formation à l’École nationale supérieure d’arts et métiers, spécialisation en gestion industrielle et supply chain.