Alain Rousset : Je suis très attaché à la reconquête industrielle. Il est inacceptable aujourd’hui que nous soyons dépendants à plus de 90% de la Chine pour la fabrication de panneaux solaires, de batteries, de principes actifs de médicaments...
La politique industrielle est la clé du XXIe siècle. Mais pour réussir à relocaliser de l’industrie, il faut des sauts technologiques. Forte de cette conviction, la Région consacre 25% du budget du pôle Développement économique et environnemental à l’innovation. Cela a permis, par exemple, la création de machines permettant de recycler les panneaux solaires à Saint-Loubès[Gironde]. Récemment, la Région a voté un appel à projets pour de grands programmes scientifiques pluridisciplinaires. En effet, la pluridisciplinarité est la clé pour trouver des solutions dans un monde complexe. Et il n’y a jamais eu autant de projets industriels en Nouvelle-Aquitaine, à l’image du bassin de Lacq. D’ici à 2027, près de deux milliards d’euros y seront investis avec, à la clé, plus de 800 créations d’emplois. Par exemple, Alpha Chitin lance la seule usine française de production de molécules de chitine et chitosanes pour l’industrie pharmaceutique; Elyse Energy va créer une usine de méthanol vert; Carester projette de réaliser un site de récupération de terres rares contenues dans les aimants...
AMMag: Est-ce que la Région a adopté une stratégie pour la transformation écologique ? Si oui, où en est-elle ?
Alain Rousset : Avec le programme «Usine du futur» lancé en2014, nous avons aussi fait de l’accompagnement des industriels à la transition énergétique une priorité. Et ce, dès la fusion des Régions. En 2019, nous avons adopté «Néo Terra», une feuille de route dédiée à l’accélération de la transition énergétique et écologique, qui s’applique à toutes nos politiques. Aujourd’hui, au regard des prix de l’énergie, notre industrie doit accélérer sa décarbonation pour préserver sa compétitivité, ses emplois, mais aussi son image et son attractivité auprès des jeunes générations. C’est cette démarche qui nous a poussés à soutenir le béton vert à partir d’argile crue, qui n’a pas besoin d’être chauffée à 1500°C, un béton inventé par Materrup. Je rappelle que la production de béton pèse8% des émissions de CO2dans le monde... Nous avons également aidé le cimentier Calcia, à Airvault, dans les Deux-Sèvres, à utiliser des combustibles alternatifs au charbon et à réduire sa consommation d’énergie de30%. Il y a aussi VoltAero, qui va proposer un avion hybride électrique construit dans son usine rochefortaise, ou Lhyfe, qui prépare à Châtellerault la reconversion des Fonderies du Poitou en un site de production d’hydrogène vert... Une nouvelle ère s’ouvre, post pétrole. Notre ambition est de devenir la première Région écoresponsable. Dans cette perspective, nous venons de voter des éco-socio-conditionnalités qui s’appliquent aux entreprises, aux associations, sollicitant une aide auprès de la Région de plus de 150000 euros. L’objectif est d’inciter le monde économique accélérer sa transition écologique.
AMMag: La Nouvelle-Aquitaine a un programme « industrie du futur ». Quel en est le bilan aujourd’hui et quels en seront les développements venir ?
Alain Rousset : Avec le dispositif «Usine du futur», nous avons montré qu’il n’y a pas de fatalité, on peut faire de la reconquête industrielle en modernisant les usines, en améliorant la qualité de vie au travail et la productivité. Au total, nous avons accompagné 1084 sites
d’entreprises de toutes filières, représentant ensemble plus de 95000salariésdepuis 2014. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: en2019, la Nouvelle-Aquitaine a concentré 36% des emplois industriels nets créés en France. En 2020, pas moins de 2600entreprises ont été aidées individuellement par la Région, ce qui a permis de créer 22000nou-veaux emplois et d’en préserver 12000. Je rappelle que l’«Usine du futur» a été créée ici, avec l’exemple de l’usine de Turbomeca [désormais appelé «Safran Helicopter Engines», ndlr] à Bordes, dans le Béarn, que nous avons aidé à reconstruire, ce qui a permis de faire bondir la productivité de 50% et de préserver sur le territoire plus de 2000emplois, en évitant une délocalisation à l’étranger.
AMMag: Quelles mesures mettez-vous en place pour soutenir la formation, notamment sur les métiers industriels en tension ?
Alain Rousset : La pénurie de main-d’œuvre, qui concerne la plupart des secteurs d’activité, est un phénomène qui touche toute la France. Dans l’industrie, nous travaillons avec de multiples partenaires pour attirer les jeunes vers ces métiers, qui offrent des CDI, de bons salaires et de belles perspectives de carrière. Nous nous attachons aussi à élever au maximum les compétences des personnes les plus éloignées de l’emploi. En 2022, nous avons formé plus de 50000chercheurs d’emploi et développé des systèmes de formation adaptés aux chômeurs de longue durée, aux personnes peu qualifiées et aux bénéficiaires du RSA. Nous offrons, en complément des formations, des aides pour l’hébergement et la restauration. Résultat, nous avons 70% de sorties positives à l’issue des formations qualifiantes.
AMMag: La France manque d’ingénieurs. Comment votre Région y ré-pond-elle ?
Alain Rousset : La Région Nouvelle-Aquitaine compte 9550 élèves ingénieurs, répartis dans 26 écoles accréditées par la Commission des titres d’ingénieur. Ces dernières années, la Région a massivement investi pour soutenir le développement de l’offre de formation en ingénierie. Cela a permis d’augmenter le nombre d’élèves ingénieurs de plus de 42% entre2008 et2020. Mais le verrou principal du développement des écoles du secteur public est celui du taux d’encadrement, puisque l’ouverture des postes d’enseignants et d’enseignants-chercheurs est limitée à l’échelle nationale. Le manque d’investissements de l’État en matière de dotation de postes fait le lit du développement des écoles privées. Pour y remédier, nous avons décidé de mettre en place un groupe de travail Région-écoles publiques-universités. L’objectif est de lister les formations nécessaires à l’industrie qui ne peuvent se mettre en place faute d’enseignants-chercheurs en nombre suffisant et de définir les besoins concrets.