Point de vue / Idées
Le sens des mots

Le sens des mots
Une langue vivante évolue sans cesse. Elle doit, pour rester l’instrument de communication privilégié des personnes qui la pratiquent, incorporer dans son vocabulaire les mots nouveaux accrédités par l’usage. Inversement, le recul puis l’extinction de l’usage précipitent dans l’oubli les mots vieillissants.
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Par Michel Harmant (Cl. 161)
Publié le 2025-01-24
L’évolution de la langue est observable dans le temps et selon le lieu où elle est pratiquée. Dans la langue française, l’acquisition de mots nouveaux l’emporte sur l’abandon de mots dépassés. Le vocabulaire disponible s’enrichit. Les éditeurs de dictionnaires s’en réjouissent. L’Académie française cultive son immortalité. Mais la presse, victime du culte de l’instantanéité, en vient à oublier le sens des mots. L’extraordinaire richesse de notre langue est sous-exploitée. Les expressions maladroites, souvent dénuées de sens, prolifèrent dans le langage et dans les colonnes des journaux. L’abus de recours au syntagme est révélateur de l’appauvrissement de l’expression orale et écrite. Les formules les plus maladroites s’incrustent dans le langage courant. Le tri sélectif, à la fois syntagme et pléonasme, en est un exemple. Comment un tri pourrait-il ne pas être « sélectif » ?
Les mœurs ne sont plus ni bonnes, ni mauvaises, elles sont devenues des questions sociétales.
À force de perfectionner l’encadrement des droits et comportements des citoyens, les rédacteurs de textes de lois et de règlements abusent de l’emploi de formules compliquées, au risque d’introduire dans leurs textes des contradictions rendant leur interprétation imprécise. Les justiciables en pâtissent, mais les plaideurs s’en délectent. Les codes gagnent en volume mais perdent en clarté. Les flux d’informations, dans tous les domaines, sont devenus invasifs. Ils font obstacle à la créativité. Ils ne répondent plus au besoin fondamental de chaque vie humaine, celui de se reconnaître dans la production d’œuvres qui en seraient le reflet. La production artistique découle de ce besoin. Les outils modernes d’assistance à cette production sont de plus en plus performants. Ils en améliorent la richesse mais lui font perdre de son authenticité. Sera-t-il encore possible, dans un avenir proche, de discerner, dans une œuvre, la part de création vraie ? Est-ce une conséquence de cette abondance de moyens ? La recherche de la beauté et de l’harmonie semble délaissée au profit d’un appétit démesuré pour la laideur et la vulgarité. Notre époque privilégie une forme dénaturée de la culture, celle qui discrédite de concert les valeurs esthétiques et les valeurs morales. Depuis des millénaires, la civilisation dont nous sommes les héritiers a placé l’art dans le haut de son échelle de valeurs. Aller à contre-sens nous renverrait à la barbarie. L’homme a besoin d’idéaliser la réalité. La beauté n’est pas un caprice qui détourne notre regard de la misère et de la violence du monde. Picasso a peint Guernica… La colère, elle-même, n’a-t-elle pas ses raisins ? La beauté et la vérité absolue relèvent d’un idéal rêvé mais jamais atteint. L’œuvre d’art révèle aux sens sa part de vrai et de bon, elle peut aussi être belle. Dans le tumulte des genres et des styles, la beauté peut encore être considérée comme l’âme de la matière. Source d’inspiration artistique, la matière offre aussi un champ d’exercice aux gens de métier, qui s’efforcent de la maîtriser. Les mots ont un sens. Le métier est un art.

Michel Harmant (Ch. 161)