Le relais de la flamme :
une pure invention du régime nazi
Alors que la vasque olympique en lévitation au-dessus d’un Paris baigné de lumière a quitté le jardin des Tuileries, le relais de la flamme nous interroge sur la genèse et la symbolique de ce rituel. Si la vasque, image emblématique de ces Jeux d’été 2024, restera à tout jamais gravée dans la mémoire collective, il convient de faire le point sur les prétendus héritages et les usurpations du cérémonial olympique.
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Par Jean-Michel Blaizeau
Publié le 2024-11-29
La flamme olympique n’est pas aussi antique qu’on voudrait bien nous le faire croire… Certes, une flamme brûlait sur l’autel du sanctuaire de la déesse Hestia, à Olympie, mais elle n’était en aucune manière liée aux Jeux panhelléniques en l’honneur de Zeus, pas plus que les courses aux flambeaux pratiquées à Athènes, et non à Olympie. Le premier relais moderne n’a absolument rien d’antique et date de 1936, année des Jeux de Berlin.
En 1928, lors des Jeux d’Amsterdam, un premier feu est allumé dans un chaudron, en haut d’une tour de 46 mètres qui permet aux athlètes logés dans la cité de repérer le lieu des épreuves. Ce concept du feu sacré sera repris lors des éditions suivantes, et ce n’est que deux olympiades plus tard qu’apparaîtra le relais de la flamme, après l’allumage d’une torche sur le site d’Olympie. Une pure invention de Carl Diem, alors secrétaire général du Comité d’organisation des Jeux de Berlin.
Ce théoricien du sport, proche des idéaux aristocratiques, patriotiques et pacifistes du baron Pierre de Coubertin, avait déjà mis en place un relais à la torche lors des « Deutsche Kampfspiele », alternatives germaniques aux JO, en 1922, alors que l’Allemagne, jugée responsable de la Première Guerre mondiale, était écartée par le Comité international olympique (CIO), jusqu’à son retour dans le concert olympique en 1928.
LE MODÈLE ANTIQUE, LIEN IDÉOLOGIQUE ENTRE COUBERTIN ET L’ORDRE NAZI
Dans sa démarche, Carl Diem s’appuie sur un paradigme fallacieux, le lien idéologique, voire la filiation directe, entre les Aryens du IIIe Reich et les « chevaliers athlétiques » de la Grèce antique. Quoi de mieux qu’un cérémonial, si ambigu soit-il, à l’initiative de ce VRP de luxe de l’appareil nazi pour remettre en jeu un baron de Coubertin vieillissant, à l’écart du CIO depuis 1925, et en même temps surfer sur le concept anobli des Jeux pour diffuser l’image d’une nouvelle Allemagne puissante, créative et rassurante ? Alors que la flamme se veut porteuse de messages de paix et de fraternité, elle revêt, dans l’idéologie nazie, un sens purificatoire qui brûle ce que l’on veut détruire et illumine ce qui doit être promu ou valorisé…
Comment s’étonner alors que Carl Diem en appelle à la caution du père de l’olympisme à la moindre occasion, tant la convergence d’intérêts idéologiques est patente ? D’autant que, dès 1933, les appels au boycott par les États-Unis et les nations alignées se sont multipliés. En quête de légitimité, les responsables du sport du IIIe Reich cherchent à récupérer l’aura d’un Coubertin séduit par les capacités organisationnelles du nouvel ordre allemand.
Le CIO, quant à lui, espère profiter de cette mise en scène grandiose annoncée par le Reich pour redorer son blason et imposer définitivement la « religion athlétique » après des Jeux de 1932 à Los Angeles lointains et trop confidentiels.
UN CONTEXTE GÉOPOLITIQUE PARTICULIER
Les Jeux de Berlin censés être universalistes, pacifiques et fraternels surviennent onze mois après les lois raciales de Nuremberg qui excluent les juifs allemands de la vie sociale, politique et sportive, et cinq mois après la remilitarisation de la Rhénanie par les soldats du Reich, en violation du traité de Versailles et des accords de Locarno. L’Allemagne est isolée sur le plan diplomatique et accusée de provocation et de visées hégémoniques. C’est dans ces turbulences que s’ouvriront les Jeux de Berlin le 1er août 1936.
Carl Diem a anticipé. Il s’agit avant tout, et quels qu’en soient les moyens, de briser l’isolement diplomatique et de rassurer l’opinion internationale sur les intentions du nouveau Reich. D’autant que le chancelier Hitler est désormais convaincu de l’utilité de ces Jeux comme vitrine du régime et caisse de résonance à l’idéologie nazie. Dès lors, rien ne sera ni trop beau, ni trop grand, pour ces Jeux nazis livrés à la propagande et qui doivent démontrer sportivement la supériorité de la race aryenne, tout en renforçant la cohésion nationale et la fierté du peuple allemand.
DES MESURES SÉDUISANTES ET NOVATRICES
Pour masquer les discriminations raciales et offrir au monde un visage pacifique, tolérant et respectueux de la charte olympique, Berlin a nettoyé ses façades de toutes traces antisémites et incite ses habitants au meilleur accueil des délégations et visiteurs étrangers. L’objectif de Carl Diem est clair : rassurer le CIO, séduire et dissimuler. Des mesures sont initiées dès 1935 avec la caution morale de Coubertin. Les fouilles sont reprises sur le site d’Olympie par des archéologues allemands. Un convoi de camions Mercedes sillonne l’Allemagne pour promouvoir l’idéal olympique auprès de la population. Une cloche monumentale est fondue à Bochum et gravée à l’intention de la jeunesse du monde avant d’être acheminée jusqu’à l’Olympia Stadium de Berlin. Et, enfin, la mise en scène du relais de la flamme olympique, depuis l’aval du CIO donné à son initiateur en mai 1934, fait la fierté des dignitaires allemands, empressés à se féliciter de ces initiatives à la gloire du régime nazi.
LE PARCOURS DE LA FLAMME OLYMPIQUE
Carl Diem a conçu une théâtralisation grandiose : le feu est allumé sur le site d’Olympie le 20 juillet 1936, et la flamme transportée par relais via sept pays d’Europe centrale jusqu’à Berlin. Ce périple de plus de 3 000 kilomètres mobilise 3 075 porteurs, lesquels traversent les capitales grecque, bulgare, yougoslave, hongroise, autrichienne, tchécoslovaque et allemande. La foule se masse le long des routes pour voir passer ce feu, que l’on croit synonyme de paix et de concorde. La symbolique olympique liant l’athlète antique « chevalier de la religion athlétique » cher à Pierre de Coubertin et l’Homme nouveau « Aryen de race pure » cher la mystique national-socialiste est exploitée à la face des démocraties bernées, prêtes à sombrer dans les plus tristes compromissions.
Carl Diem a ainsi beau jeu de clamer ses convictions prémonitoires dans une formule sans ambages : « Tel le feu de l’esprit grec, toujours ravivé pour éclairer l’humanité, la flamme d’Olympie va enfin pouvoir continuer de brûler lors des Jeux olympiques des Temps modernes. »
Quelque 88 ans plus tard, la flamme est un rituel incontournable, et le relais de la torche olympique perdure, alors que les instances du CIO se sont soigneusement appliquées à gommer toute référence à son passé nazi.
Jean-Michel Blaizeau, historien et écrivain du sport
crédit photo JM Blaizeau : © DEFLANDRE
Photo 2 / Arrivée à Berlin de la flamme olympique.
Photo 3 / Arrivée de la flamme olympique au Lustgarten, à Berlin.
Photo 1 / Le relayeur allemand allume la vasque devant les Jeunesses hitlériennes.
Photo 5 / La flamme olympique sur l'avenue Unter den Linden, à Berlin.
Photo 8 / Le président du Comité olympique autrichien prend le feu à la frontière hongroise.
Photo 7 / L'Allemand Fritz Schilgen, dernier porteur de la flamme, dans l'Olympia Stadium de Berlin.
Photo 6 / La flamme part d'Olympie pour un parcours de 3 000 km. Ici, le premier porteur, Konstantinos Kondylis.
Photo 9 / Parcours de la flamme olympique pour les Jeux de 1936.
crédits photos :
photos 1 - 3 : © AGENCE PRESSE BILD ZENTRALE OLYMPIA 1936
photos 2 - 5 - 6 : © AGENCE PRESSE PHOTO GMBH OLYMPIA 1936
photo 7 : domaine public
photo 8 : © IOC
photos 7 - 9 - 10 : © AGENCE PRESSE ILLUSTRATIONEN HOFFMANN OLYMPIA 1936
Des faits et des chiffres
Date de départ d’Olympie : 20 juillet 1936.
Date d’arrivée à Berlin : 1er août 1936.
Premier porteur : le Grec Konstantinos Kondylis
Dernier porteur : l’Allemand Fritz Schilgen.
Nombre de porteurs du relais de la flamme : 3 075 (un par kilomètre) ; 1 108 en Grèce, 238 en Bulgarie, 575 en Yougoslavie, 386 en Hongrie, 219 en Autriche, 282 en Tchécoslovaquie, 267 en Allemagne.
Recrutement des porteurs : à l’initiative de chaque comité olympique des pays traversés.
Torche : couleur argent ; taille : 70 cm ; matière : fer.
Combustible : tube de magnésium, pâte inflammable.
Temps de combustion : au moins 10 minutes.
Concepteurs : Carl Diem et Walter E. Lemcke
Fabricant : Friedrich Krupp AG.