Pierre Vilars (Li. 135)
Une vie exemplaire
Le 19 septembre 2024, Pierre Vilars (Li. 135), le doyen des Gadzarts, nous a quittés après 108 années d’une vie bien remplie. Gadzarts exemplaire, membre du comité de la Soce, qui lui remit la médaille d’argent, il est de ces héros discrets qui font la gloire de la France. Fuyant les honneurs, ceux-ci l’avaient rattrapé à 105 ans, lorsqu’il reçut la Légion d’honneur. Le 5 juin dernier, il était salué par le président Macron pour son rôle dans le débarquement de Provence. Ce ne fut pour lui qu’un épisode d’un parcours extraordinaire.
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Par Christian Lapie (Ch. 164)
Publié le 2024-11-28
Né pendant la Première Guerre mondiale, Pierre Vilars (Li. 135) a été bercé par les souvenirs de cette guerre et de celle de 1970, par ses grands-parents. Après avoir intégré les Arts et Métiers de Lille en 1935, il rejoint l’École des officiers de Poitiers et choisit un régiment d’artillerie coloniale à Lorient, où vit sa sœur : « Le fait d’appartenir à cette armée me servira au-delà de toutes mes espérances. » Plus tard, son régiment est affecté dans l’Aisne où il subit la débâcle… sauf sur le plan personnel, où il rencontre sa future épouse ! Le sous-lieutenant Vilars se replie vers Lorient, participant à sa défense avec un escadron du 111e régiment d’artillerie coloniale. C’est aux Cinq-Chemins de Guidel que les combats ont lieu. Six soldats français sont tués, une stèle y est érigée en leur mémoire. Pierre y est fait prisonnier et envoyé en Allemagne. Il va goûter à la « douce » captivité des Oflags.
Ses camarades de la Li. 135 ont aussi été mobilisés, et 13 d’entre eux seront faits prisonniers. Deux marins de la promo, André Liot et Marcel Lemoine, n’auront pas tant de « chance » : ils périront à Mers el-Kébir (Algérie) lors de la destruction de la flotte par les Anglais. Pendant sa captivité, Toutoune dit « Gasnier », un autre camarade, construit un tour qui a déjà eu les honneurs du magazine. Pierre Lafond, un camarade aviateur, rejoint l’Afrique du Nord – on en reparlera plus loin. D’autres rejoignent les combats à la frontière belge, en particulier avec la 1re division cuirassée qui fut anéantie à Flavion. L’un des rescapés, Jean Adde, de la Li. 135, m’écrivait il y a quelques années : « Souvenez-vous que plus de 80 000 soldats sont morts pendant ces six semaines de combat, et ils sont oubliés par l’histoire de France. »
UN INCROYABLE PÉRIPLE
Être de la coloniale permit à Pierre de se porter volontaire pour lutter contre les Anglais en Syrie. Débute alors un incroyable périple jusqu’à la Libération. Le régime de Vichy lui écrit : « Réclamé par les Allemands, car vous n’avez pas été en Syrie, que choisissez-vous comme repli ? Afrique occidentale française, Madagascar ou l’Indochine ? » Pierre choisit l’Afrique noire, car, dit-il, c’est plus près de la France ! Il arrive à sa destination, Abidjan, en décembre 1941. Il se frotte à la vie « exotique », aidé de son ordonnance Kinou, qui lui facilite la vie. Il passe même lieutenant et se réjouit de l’augmentation de sa solde ! Une vie finalement tranquille, que seules la chaleur et l’humidité rendent difficile. Cette période coloniale se termine quand les Alliés débarquent en Algérie. Il faut organiser la conscription, recruter des combattants et « ne jamais oublier que, grâce à l’armée d’Afrique, avec 80 % de Noirs, nous sommes arrivés jusqu’à la France, alors que les bouquins ne parlent que des Blancs ».
LIEUTENANT BLONDEL
De Haute Volta, il rejoint Dakar en camion, puis Casablanca en mars 1943 en avion, un Liberator américain. En 1943, le vent a tourné : après le débarquement d’Afrique du Nord, c’est le ralliement à la France libre. Pierre est recruté au sein de la 9e division d’infanterie coloniale (DIC) avec un équipement tout neuf, à l’instar de son nom : lieutenant Blondel. En tant que « déserteur », il risquait la peine de mort s’il était capturé sous son nom. De Gaulle, passant en revue la 9e DIC, les exhorte à libérer le pays. L’espoir renaît, et c’est le message à Jacqueline : « Mariage proche. » Mais d’abord, c’est l’apprentissage au débarquement sur les plages d’Oran.
Lors d’une opération de déminage, il saute en l’air, ce qui lui vaut huit jours de clinique. Puis c’est le baptême du feu lors du débarquement de « Français » sur l’île d’Elbe, le 17 juin : une hécatombe parmi les premières vagues de tirailleurs sénégalais. Blondel soulignera leur héroïsme et regrettera qu’ils ne soient pas davantage glorifiés. La bataille est féroce, mais les 2 000 Allemands plient en 52 heures. Un vrai exploit, souligné par les Alliés.
S’enchaînent alors le débarquement « tranquille » à Cavalaire (Var), le 21 août, puis de violents combats autour d’Hyères, de Toulon et de Saint-Mandrier, où une « poche » de résistance de SS veut bien se rendre à condition d’être faite prisonnière « par des Blancs », tant la peur des tirailleurs sénégalais les tenaillait. Puis advient la remontée rapide vers le Doubs, où le froid surprend les Africains qui seront remplacés par autant de résistants. Le 9e DIC prend Mulhouse, et Blondel, redevenu Vilars, obtient une « perm » de dix jours pour se marier, le 25 janvier 1945, avec Jacqueline, avec laquelle il n’a jamais cessé de correspondre… parfois par l’entremise du Vatican.
Pendant que Pierre remontait vers Mulhouse, son camarade aviateur Pierre Lafond rejoignait les Bomber Command de la RAF, à Elvigton, en Angleterre, avec les Français libres. Il participera, comme navigateur, à 24 missions entre novembre 1944 et avril 1945. « C’est un beau travail d’équipe, dira-t-il, mais il y a toujours la Flak, le givre et la chasse de nuit pour nous gêner ! » Sa vie durant, l’oxygène qu’il devra respirer comme au temps du Halifax lui rappellera sans aucun doute ses dures heures d’héroïsme ordinaire.
RETOUR À L’INDUSTRIE
À l’armistice, Pierre Vilars est promu capitaine, mais il renonce à s’engager plus avant (c’était l’Indochine !). Retour à l’industrie, vocation des Gadzarts. D’abord Pompey (Meurthe-et-Moselle), qu’il quitte sans regret, puis Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Maritime) chez le fabricant d’imperméables « BJ sur qui la pluie gît », selon son trait d’humour. Est-ce un retour « aux sources » lorsque, en 1959, il prend à Liancourt la direction de la Franco-Italienne de Plastiques (devenue Alkor Draka).
Ses obsèques ont eu lieu en l’église Notre-Dame-de-Lourdes, à Vannes (Morbihan), sa ville d’adoption depuis les années 1970 où il avait rejoint l’usine Bic-Marine comme directeur et où il a terminé sa carrière d’ingénieur en 1982. Jusqu’au bout, il est resté actif, jouant au bridge – son élixir de jeunesse –, conduisant… et regrettant le départ trop précoce de sa Jacqueline bien-aimée. Il craignait que ces fous de Russes et d’Américains n’aient rien appris de ces conflits et nous remettent « le dos au mur ». Il a eu souvent raison, mais espérons que cette fois il se trompait !
C’est le moment de dire adieu à Pierre et à tous ses camarades morts pour la France.
Quant à moi, avec tristesse, je mets un terme au Conteur à Gadz de la Li. 135 qui m’a occupé tant d’années à la suite de mon père, Bernard.
Christian Lapie (Ch. 164), fils de Bernard Lapie, délégué de promotion de la Li. 135
toutes les photos : DR
Le 5 juin 1924, Pierre était salué par le président Macron, à Plumelec (Morbihan), lors de cérémonies commémorativez du Déparquement.