Se dépasser
Le choix de la liberté est porteur d’espoir, parce que c’est la façon la plus sûre de combattre la souffrance intérieure et empêcher qu’elle se transforme en détresse.
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Par Michel Harmant (Cl. 161)
Publié le 2024-11-28
Le dépassement de soi est-il un facteur de progrès individuel et social ? Les philosophes sont partagés quant à l’utilité de rechercher ce dépassement, et aux vertus de cette démarche. Celle-ci est indissociable de notre relation à l’écoulement du temps. Chercher à se dépasser est une projection dans le futur, mais le geste s’inscrit dans le présent, éphémère et fugace. L’instant vécu ne s’attarde pas dans notre univers conscient. Lorsqu’on se sent très bas, il faut un sursaut d’orgueil pour entreprendre un dépassement. Il faut trouver la force de s’affranchir du scepticisme, voire des moqueries. Il faut aussi résister à la tentation de la transgression, qui est une forme de tricherie, détournant du beau, en réduisant l’espace d’expression de nos énergies à de la complaisance pour la laideur et la violence. Il importe de bien doser ce sursaut. L’orgueil n’est pas neutre, il nous sert aussi à camoufler nos faiblesses, à nous mentir à nous-mêmes sur les réalités de notre vie et du monde dans lequel nous vivons. Le dépassement de soi fait appel à des comportements introspectifs, la concentration, le recueillement, le silence intérieur, l’aspiration à l’exploit, le jaillissement créatif. Lors d’une prestation publique, le silence, avant la tentative, est communicatif. Il devient collectif. C’est l’apport du public à l’effort de celui qui entreprend de se dépasser. Ce geste est instinctif. Les énergies qui se rassemblent ne sont ni visibles, ni mesurables.
LA LIBERTÉ N’EST JAMAIS GRATUITE
Le dépassement réussi procure une satisfaction porteuse d’un bien-être intérieur indispensable pour mieux réagir face à l’adversité. Les victoires sur nous-mêmes nous aident à mieux appréhender les désillusions de la vie. Elles nous aident à porter un regard moins désespéré sur l’imposture, ce fléau qui nourrit les frustrations et les rancœurs. L’imposture nous enferme dans un sentiment d’injustice et de privation de liberté d’expression. Chercher à en sortir est humain et légitime, comme il est légitime à l’esclave maltraité de chercher à sortir de sa condition, à se libérer. Mais la liberté n’est jamais gratuite. Il en coûte de la détermination et des efforts. C’est avant tout un choix, par acceptation du combat inévitable, refus de la capitulation, renoncement au confort de la soumission. Le choix de la liberté est porteur d’espoir, parce que c’est la façon la plus sûre de combattre la souffrance intérieure et empêcher qu’elle se transforme en détresse.
L’œuvre d’art résulte d’un dépassement de soi. C’est la recherche d’une élévation, d’une issue permettant de s’extraire de sa condition ou de ses limites, de sortir de la banalité routinière, de la fatalité temporelle. L’art, sous toutes ses formes, est avant tout une discipline, une méthode de recherche de l’harmonie, de l’accord idéal entre les forces intérieures et les aspirations profondes, une voie de sagesse. Le dépassement est dans nos gènes. Des peintures murales des cavernes à la quête de la réalité augmentée, la démarche est la même. Les outils sont ceux de chaque époque. Les limites de l’univers défient notre savoir. Chaque étape qui nous fait progresser dans la reconnaissance de l’infiniment grand ou de l’infiniment petit est un dépassement.
Michel Harmant (Ch. 161)