La nature : source d’inspiration pour innover
Le défi climatique, les enjeux environnementaux et l’accroissement de la population mondiale imposent de trouver de nouvelles solutions durables pour permettre au plus grand nombre d’individus d’améliorer leurs conditions de vie et de bénéficier de services modernes, tout en réduisant les impacts environnementaux à court et à long terme. Pour faire face à ce challenge, nos modes de pensée et nos méthodes de conception doivent s’adapter. Nous devons innover autrement pour développer et améliorer sans cesse la capacité d’adaptation des produits à leur environnement.
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Par Pr Améziane Aoussat et Nicolas Maranzana
Publié le 2024-11-28
S’adapter à l’environnement, survivre et y prospérer en harmonie, c’est précisément ce que font les organismes vivants depuis plus de trois milliards d’années. La nature est un laboratoire de R&D à ciel ouvert et constitue un vivier d’inspiration et de connaissances scientifiques infini pour élargir les champs de compétences des concepteurs et structurer de nouvelles méthodologies d’innovation. De tout temps, les hommes se sont inspirés de la nature, ce qui a conduit à l’émergence de nombreuses innovations dans des domaines variés comme l’aéronautique (depuis les machines volantes de Léonard de Vinci jusqu’aux winglets inspirés des oiseaux), l’habitat (système de ventilation de l’Eastgate Center, à Harare, au Zimbabwe, inspiré de la structure des termitières), le sport (combinaison de natation inspirée des écailles de requin pour diminuer les frottements et la traînée), l’industrie textile, le biomédical, le militaire, la robotique, etc.
Le monde vivant est capable de résoudre d’innombrables problèmes, du moment qu’il en a le temps. Temps qui fait principalement défaut aux entreprises souhaitant innover.
LE POTENTIEL DU BIOMIMÉTISME
C’est là qu’intervient tout le potentiel du biomimétisme qui vise à comprendre, à modéliser et à transférer les stratégies issues du monde du vivant (ayant parfois nécessité plusieurs milliers d’années d’adaptation) pour développer des innovations dont l’objectif est le développement durable (Vincent et al., 2006). Le biomimétisme n’est pas seulement une solution d’innovation industrielle, il nous invite également à porter un autre regard sur notre environnement et sur le vivant. Pourtant, ce champ de recherche émergent est encore trop peu exploité. Car, si l’idée est séduisante, l’intégration du biomimétisme dans une démarche de conception et d’ingénierie représente un réel défi, défi que le Laboratoire Conception de produits et Innovation (LCPI) tente de relever.
L’un des problèmes majeurs du biomimétisme est sa nature pluridisciplinaire impliquant deux domaines de connaissances majeurs et distincts : la biologie et l'ingénierie de conception. Les concepteurs, souvent sans connaissances particulières en biologie, sont amenés à conduire des étapes de conception délicates, fortement ancrées dans la biologie. Pour pallier ce problème, l'équipe du LCPI a développé des méthodes et des outils qui aident les concepteurs à chercher, à analyser et à appliquer des connaissances biologiques dans la conception, sans que le niveau de ces connaissances en biologie soit nécessairement extensif.
DÉVELOPPER DES INNOVATIONS DURABLES
Ainsi, dès 2013, le LCPI a proposé la première thèse de doctorat en France sur les méthodologies de conception biomimétique, réalisée par Pierre-Emmanuel Fayemi. Les travaux de ce dernier ont consisté à faciliter l'application du biomimétisme dans le monde industriel en proposant un processus unifié de conception biomimétique. Cette méthode (voir schéma) aide les ingénieurs à comprendre, à modéliser et à transférer les stratégies issues du monde du vivant pour développer des innovations durables répondant à leurs problématiques industrielles. Ce processus, qui regroupe huit étapes, est divisé en deux cycles symétriques d’abstraction et de spécification. En d’autres termes, la première phase, qui regroupe les étapes 1 à 4, va permettre de passer de la technologie à la biologie, et la seconde phase, regroupant les étapes 5 à 8, va réaliser l’opération inverse, c’est-à-dire passer de la biologie à la technologie.
Le LCPI, à travers les travaux de thèse de doctorat d’Eliot Graeff, s’est ensuite intéressé aux humains derrière les outils et notamment à la façon dont les biologistes et les concepteurs raisonnent et présentent leurs informations. L’objectif était de proposer un référentiel commun permettant d’améliorer la communication au sein d’une équipe pluridisciplinaire (Graeff et al., 2019, 2020, 2021a, 2021c). Ce référentiel a donné lieu à la plateforme collaborative LINKAGE (voir encadré), laquelle favorise, entre autres, le raisonnement et la communication synergiques de l’équipe.
Pr Améziane Aoussat et Nicolas Maranzana
Les 8 grandes étapes du processus de conception biomimétique
schéma des 8 étapes / SOURCES : FAYEMI ET AL., 2017 ; WANIECK ET AL., 2017
Le Pr Aoussat et Nicolas Maranzana sont experts en méthodes et outils portant sur le processus de conception et d’innovation, et plus particulièrement dans le domaine du biomimétisme.
Améziane Aoussat est professeur des universités. Il dirige le Laboratoire Conception de produits et Innovation (LCPI), ainsi que quatre Mastères spécialisés (qualité ; maintenance ; ingénierie numérique ; innovation) et deux parcours de master de recherche (ingénierie de la conception et design d’interactions). Porteur de nombreux projets nationaux et internationaux, il est membre élu du conseil d’administration de l’École supérieure nationale d’arts et métiers.
Nicolas Maranzana est maître de conférences-HDR (habilitation à diriger des recherches) et responsable pédagogique de deux Mastères spécialisés (qualité et innovation) et membre de la commission de normalisation pour la rédaction des normes sur la série ISO 56000 concernant le management de l’innovation.
Références
Fayemi (P.E.), Wanieck (K.), Zollfrank (C.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « Biomimetics: process, tools and practice », Bioinspiration & Biomimetics, vol. 12, no 1, 2017
Graeff (E.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « Biomimetics, where are the biologists? », Journal of Engineering Design, vol. 30, Issue 8-9, p. 289-310, 2019
Graeff (E.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « Biological practices and fields, missing pieces of the biomimetics’ methodological puzzle », Biomimetics, vol. 5, Issue 4, 2020
Graeff (E.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « A shared framework of reference, a first step towards engineers' and biologists' synergic reasoning in biomimetic design teams », Journal of Mechanical Design, vol. 143, Issue 4, 2021a
Graeff (E.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « LINKAGE, an online tool to support interdisciplinary biomimetic design teams », Journal of Mechanical Design, vol. 143, Issue 10, 2021b
Graeff (E.), Letard (A.L.), Raskin (K.), Maranzana (N.), Aoussat (A.), « Biomimetics, from practical feedback to a transdisciplinary process », Research in Engineering Design, vol. 32, p. 349-375, 2021c.
Letard (A.), Graeff (E.), Maranzana (N.), Raskin (K.), Aoussat (A.), « How do designers impact the biomimetic concepts typology? », International Conference on Engineering and Product Design Education, Herning, 2020
Vincent (J.F.V.), Bogatyreva (O.A.), Bogatyrev (N.R.), Bowyer (A.), Pahl (A.-K.), « Biomimetics: its practice and theory », Journal of the Royal Society, Interface, 3(9), p. 471–482, 2006
Wanieck (K.), Fayemi (P.E.), Maranzana (N.), Zollfrank (C.), Jacobs (S.), « Biomimetics and its tools », Bioinspired, Biomimetic and Nanobiomaterials, vol. 6, Issue 2, p. 53-66, 2017