Métiers / Campus
« Si les jeunes ne choisissent pas l’industrie, nous aurons échoué »

« Si les jeunes ne choisissent pas l’industrie, nous aurons échoué »
Louis Gallois, invité d’honneur de la soirée consacrée aux ELF, a parlé de réindustrialisation et de l’importance, à ses yeux, des ELF. Pour Louis Gallois, l’industrie de demain aura au moins trois caractéristiques : elle sera technologique, écoresponsable et électrique. Morceaux choisis.
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Par Eric Roubert
Publié le 2024-11-24
« Il faut réfléchir à ce que sera l'industrie de demain. Et je pense que cette industrie aura au moins trois caractéristiques. La première, c'est qu'elle sera technologique. Cela ne signifie pas qu'il ne s'agira pas d'industries traditionnelles, mais la technologie sera omniprésente, notamment le numérique. À ce sujet, j'ai été frappé par le rapport de M. Draghi, qui vient de paraître et qui souligne le retard de l'Europe, et plus particulièrement de la France, par rapport à la Chine, aux États-Unis, mais aussi à la Corée, au Japon et à l'Inde, des pays qui intègrent beaucoup plus les technologies dans l'industrie que nous ne le faisons actuellement. Je ne prendrai qu'un exemple : la 5G. La 5G, c'est l'Internet des objets, ce qui permet aux machines de communiquer entre elles. En Europe, nous sommes, avec les Italiens, les plus en retard dans l'adoption de la 5G. Je pense que cela s'explique par un phénomène sur lequel je reviendrai : les chefs d'entreprise craignent de s'engager dans un domaine qu'ils ne maîtrisent pas. Il est donc essentiel que des personnes compétentes dans ces domaines s'investissent dans l'industrie.
« La seconde caractéristique de cette industrie, c'est qu'elle sera écoresponsable, c'est-à-dire à la fois décarbonée, ce qui représente un immense chantier devant nous. Le rapport de [Jean] Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz mentionne un chiffre : d'ici à 2030, 60 milliards d'euros devront être investis dans la décarbonation. Et ce ne sera pas suffisant. Rien que la transformation des hauts fourneaux de Dunkerque représente un investissement de 1,5 milliard d'euros, dont l'État finance la moitié. [Il] devra intervenir davantage, car ce sont des investissements non rentables pour les industriels. Arcelor ne vendra pas son acier plus cher sous prétexte qu'il aura utilisé des procédés sans coke pour réduire l'oxygène dans le minerai de fer. Être écoresponsable signifie aussi s'orienter vers des industries vertes. Je n'aime pas beaucoup ce terme, mais il désigne les industries qui soutiennent la transition écologique et énergétique. Cela inclut les batteries, les voitures, les plastiques biodégradables, le recyclage, l'industrie agroalimentaire basée sur l'agriculture biologique, et l'industrie de la santé, qui a montré durant la crise du Covid à quel point elle soulevait des enjeux de souveraineté et de santé publique. Cela concerne aussi les éoliennes, les panneaux solaires, sur lesquels nous sommes dominés par les Chinois. Enfin, bien sûr, le nucléaire sera la base de la transition énergétique.
« Le troisième élément, c'est que cette industrie sera électrique. La décarbonation exigera une électrification massive de l'industrie. Les besoins en électricité seront énormes. On estime que la consommation d'électricité sera multipliée par deux d'ici à 2050. Actuellement, dans le mix énergétique français, l'électricité représente 25 %, mais en 2050, ce sera 55 %. C'est une évolution très significative. Des mesures de sobriété permettront, je l'espère, de modérer cette croissance, mais elle risque d'être explosive.
« Voilà à quoi ressemblera l'industrie de demain. Pour cela, nous devrons faire de la recherche, investir massivement dans le domaine de l'énergie, et acquérir de nouvelles compétences. »
 
DES COMPÉTENCES… ET DES ELF !
« Si les Arts et Métiers ne jouent pas un rôle dans la réindustrialisation, autant fermer la boutique. C'est une école dédiée à l'industrie, qui a contribué, aux côtés d'autres institutions, à bâtir l'industrie française.
Ne vous inquiétez pas, je connais d'autres écoles qui ont également participé à cette construction. Aujourd'hui, nous avons un besoin urgent d’ouvriers, de techniciens et d’ingénieurs capables de maîtriser et d'appliquer les nouvelles technologies dans l’industrie. C'est pourquoi l’Evolutive Learning Factory semble essentielle. Elle représente un processus par lequel les élèves s’approprient ces nouvelles technologies. Or c'est justement ce qui effraie les chefs d’entreprise. Ils redoutent ces nouvelles technologies parce qu'ils ne les maîtrisent pas.
Un chef d’entreprise a souvent entre 45 et 50 ans. Il n’a donc pas grandi avec ces technologies. Et je ne parle pas des grands groupes. Pour eux, c’est une révolution. Ils l’ont menée, ils la mènent encore, et s’ils ne le font pas, ils disparaîtront. Je parle des PME, des ETI, des petites ETI. On observe une réticence à s'engager dans ce domaine, et ce n’est pas propre à la France. Des collègues allemands m’ont confié que, même chez eux, les PME rencontrent des difficultés à intégrer le numérique pour cette même raison. C’est pourquoi nous avons besoin d’ingénieurs et de techniciens qui puissent intégrer ces entreprises et rassurer les dirigeants lorsqu’ils décideront de franchir le pas et d’adopter les nouvelles technologies, notamment numériques. Sous toutes leurs formes. C’est absolument indispensable.
« Un mot sur les Arts et Métiers… Il y a un chiffre qui me terrorise. En France, nous avons de nombreuses écoles d’ingénieur. Or la moitié de leurs élèves se dirige vers d’autres secteurs que l’industrie. Nous formons des cadres pour McKinsey, le Boston Consulting Group, la banque, le commerce, etc. Mais, au moins, les Gadzarts savent, je l’espère, où ils iront. Je fais un pari. Honnêtement, nous avons un besoin vital de vous dans l’industrie. C’est absolument essentiel. Si les jeunes ne choisissent pas l’industrie, et a fortiori si les Gadzarts n'y vont pas, nous aurons échoué. Vous savez, pour moi, le test de la réussite de la réindustrialisation sera le jour où les jeunes reviendront vers l’industrie. Nous n’y sommes pas encore. »
 
« Le rapport de [Jean] Pisani-Ferry et de Selma Mahfouz mentionne un chiffre : d'ici à 2030, 60 milliards d'euros devront être investis dans la décarbonation. Et ce ne sera pas suffisant. »