Point de vue / Idées
Le propre de l’homme

Le propre de l’homme
« Le rire est le propre de l’homme », disait Rabelais. Ce n’est pas tout à fait vrai.
Certains animaux sont capables de rire. Les animaux ont une sensibilité. Ils ressentent la douleur physique et l’angoisse. Les chiens abandonnés par leur maître se laissent mourir. Les éléphants pleurent leurs défunts. Certains animaux font preuve de créativité. L’inventivité des chimpanzés face à certains obstacles dépasse parfois celle de l’humain. Au-delà de l’imitation de l’homme, les animaux ont-ils de l’imagination ? Ou bien se contentent-ils de reproduire les expériences réussies, celles que leur mémoire distingue de leurs échecs ?
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Par Michel Harmant
Publié le 2024-10-29
L’une des angoisses de l’homme est de se sentir menacé de dépassement dans ses facultés mentales. Il se résigne déjà, depuis des millénaires, à voir les animaux le dépasser en force, en rapidité, à nager mieux que lui, à plonger plus profondément, à résister au chaud et au froid, à voler, à voir dans l’obscurité… Voici qu’une nouvelle menace apparaît, celle d’être dépassé par l’intelligence de la machine. Mais qu’est la machine, si ce n’est le produit de l’intelligence de l’homme ? La crise morale que nous traversons est occidentale. Si l’Occident sombre dans la culpabilité, la repentance et le rejet de ses acquis, ce n’est pas le cas pour l’ensemble de l’humanité. L’accroissement du confort matériel, auquel l’homme s’est habitué, est accompagné d’un recul des croyances. Constatant que la machine pourrait dépasser ses facultés intellectuelles, c’est-à-dire son intelligence, l’homme occidental se sent dépossédé de l’envie de se surpasser. La transcendance, faite de croyances, d’imagination et de rêve, est reléguée au rang des superstitions démodées.
 
UN SOUFFLE DE GÉNIE
Pourtant, la machine n’aura jamais davantage d’intelligence que les êtres humains qui l’ont conçue. Elle ne pourra faire mieux que stocker infiniment plus de données que l’homme n’en est capable dans son cerveau, interroger les données stockées, les classer selon des critères que l’homme a établis, les combiner, les évaluer au moyen de lois statistiques et d’algorithmes que l’homme aura insérés dans les programmes. Il y a, en l’homme, un souffle de génie de source mystérieuse. Ce souffle incontrôlable est sous-jacent à la création artistique et à tous les progrès de l’humanité, y compris l’architecture de ce que l’on appelle aujourd’hui l’intelligence artificielle. Sans ce souffle, le progrès s’arrête. Aucun algorithme ne peut le remplacer. L’aptitude à réagir devant l’imprévu, à innover par la force de l’imagination n’est pas programmable.
Quelles que soient ses convictions intimes, l’homme restera le seul être vivant apte à recevoir les signaux transmis par le souffle de génie qui nous transcende. Son intelligence naturelle le conduira encore à percevoir ces signaux et à les traduire en actes. Le Web cognitif ouvre la voie à une large diffusion d’outils d’exploitation de l’intelligence artificielle générative. La dévolution croissante de tâches à des machines, à des robots, dopés à l’intelligence artificielle, peut aboutir, si elle n’est pas accompagnée d’une réflexion profonde sur ce qui fait « le propre de l’homme », à la négation de l’être et de l’esprit. Pourtant, malgré l’inépuisable ressource de leurs réservoirs de données gigantesques, les machines à fabriquer de « l’intelligence » ne pourront jamais sécréter cette minuscule parcelle de surprise capable de produire de l’audace créative.