« Il s’agit de répondre à une disruption historique du secteur, équivalente à celle des moteurs thermiques », annonce Emmanuel Nerkowski, directeur de la stratégie et de la planification de la production de Thyssenkrupp Presta. Pour le groupe d’origine allemande, anticiper cette mutation inhérente au développement des véhicules électriques et autonomes est stratégique. « Steer-by-Wire » est le nom très explicite (direction par fils) du projet sur lequel les équipes de Thyssenkrupp et d’AMValor travaillent actuellement pour négocier ce virage d’activité et apporter d’ici à 2027 une réponse innovante et robuste à ce défi industriel.

Les attendus sont clairs, comme l’explique Emmanuel Nerkowski : « La solution s’appuie sur un nouveau système de production robuste et universel pour s’adapter à tous les produits et sous-ensembles. Ce dispositif flexible et reconfigurable sera facilement “scalable(1)” pour assurer le meilleur “time to market(2)” possible. » Selon lui, le défi majeur est de parvenir à passer l’ensemble des éléments du système de production en « modulaire/reconfigurable », tout en assurant de hautes cadences.  Également président de la commission performance industrielle de l’Union des industries et métiers de la métallurgie (UIMM) Lorraine, Emmanuel Nerkowski est pleinement conscient des enjeux. « Il faut être conscient que la compétition qui s’est intensifiée au cours des dix dernières années n’est rien en comparaison de ce qui va se passer dans les dix prochaines. Le nerf de la guerre dans la compétition mondiale, c’est la performance industrielle. »

Si Thyssenkrupp a choisi de miser sur le partenariat R&D avec AMValor pour lancer le projet « Steer-by-Wire », c’est parce que la collaboration entre l’industriel et la filiale de l’École nationale supérieure d’arts et métiers (Ensam) n’en est pas à son coup d’essai. Elle s’inscrit dans une durée et une continuité de projets couronnés de beaux succès.« Depuis 2017, nous avons enchaîné les projets entre Thyssenkrupp et le laboratoire LCFC(3) du campus de Metz, souligne Thierry Sidot, délégué régional AMValor dans le Grand Est. Cela a commencé par la chaire industrielle “Systèmes de production reconfigurables, sûrs et performants”, qui s’est poursuivie jusqu’en 2023, parallèlement au projet “Flex Speed Factory”, entre 2017 et 2022, sous la responsabilité scientifique des chercheurs du LCFC Jean-Yves Dantan et Paul Stief. » De fait, Steer-by-Wire doit beaucoup au programme « Flex Speed Factory ». Ce dernier approfondissait déjà l’axe « reconfigurabilité » de la chaire industrielle et visait à produire des colonnes de direction à réglage électrique de manière totalement flexible, avec une machine capable d’accueillir un très grand nombre de produits.

« Avec Flex Speed Factory, nous avions réussi à atteindre une vraie rupture de performance, confirme Emmanuel Nerkowski. Les temps de cycle ont été divisés par 4, et les investissements nécessaires à l’intégration de nouveaux produits par 3. »Sur le marché, cette performance a fait la différence et attiré de nouveaux clients, dont l’Américain Tesla. « Notre système étant conçu pour être “scalable”, les hausses de volumes ont pu être facilement opérées en passant le temps de cycle de 30 à 17 secondes. Ce qui nous aurait demandé une année en termes d’industrialisation n’a pris que trois mois, car nous avons identifié à l’avance toutes les transformations nécessaires. »Pour le directeur de la stratégie, l’équation est simple : « Depuis notre première collaboration autour de la chaire industrielle de 2017, nous sommes passés d’un TRL(4) 2-3 à un niveau 8 avec le projet Steer-by-Wire. En termes d’investissements, nous étions déjà sur de gros montants avec Flex Speed Factory, de l’ordre de 7 millions d’euros cofinancés par l’UE et la Région. Avec Steer-by-Wire, c’est trois fois plus. » Enthousiaste et pragmatique, il ajoute : « Quand les choses se passent bien avec un partenaire et que les résultats dépassent à chaque fois les attentes, on continue et on monte en puissance. »

Incontestablement, le projet Steer-by-Wire marquera une étape décisive dans la collaboration entre l’industriel et AMValor. Emmanuel Nerkowski insiste sur le changement de paradigme : « Alors que les deux précédents projets en collaboration avec les Arts et Métiers/AMValor étaient particulièrement focalisés sur les équipements et les procédés, notre ambition s’élargit cette fois-ci à la conception de nouveaux produits et à l’interface entre produits et procédés que nous cherchons à standardiser totalement. »

Quand Emmanuel Nerkowski parle d’enjeux d’innovation, l’engagement du responsable UIMM profondément attaché à sa région n’est jamais loin. « Faire revenir les industries qui sont parties s’avère très compliqué. Pour maintenir de l’activité dans nos pays où les coûts salariaux sont élevés, il faut se battre sur la productivité et développer de nouveaux business fondés sur ce qui est difficilement délocalisable : l’intelligence et les compétences au service de l’innovation. C’est l’atout du Grand Est, car nous pouvons nous appuyer sur le maillage serré du tissu industriel, des laboratoires, des écoles d’ingénieur et des pôles universitaires. Il faut capitaliser sur ce socle de compétences. » Parions que Steer-by-Wire en sera la plus parfaite démonstration.
La rédaction
(1) Capacité d’évolution d’un produit (évolutivité).(2) Délai entre la conception d’un produit et sa mise sur le marché.(3) Laboratoire de conception, fabrication, commande.(4) Technology Readiness Level : échelle de 1 à 9 utilisée pour mesurer le niveau de maturité d’une technologie.

crédit photo : © THYSSENKRUPP« Steer-by-Wire » est le nom très explicite (direction par fils) du projet sur lequel les équipes de Thyssenkrupp et d’AMValor travaillent actuellement.