Industrie / Territoire
Franck Leroy, Président de la Région Grand Est

Franck Leroy, Président de la Région Grand Est
« L’industrie est notre histoire et une part importante de notre futur »
Franck Leroy, président de la Région Grand Est, parle de l’ADN industriel du territoire, de ses forces, de son ouverture sur l’Europe et des défis à relever en matière d’écologie et de formation.
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Par La rédaction
Publié le 2024-06-27
AMMag : À l’aune de son glorieux passé industriel et de la période difficile qu’elle a ensuite traversée, quelle est la situation actuelle de votre Région ?
Franck Leroy : Ma conviction, c’est que « le glorieux passé industriel » de la Région – pour reprendre votre expression –, c’est aussi son avenir. L’industrie est notre histoire, elle est aussi une part importante de notre futur. Au cœur de l’Europe, la Région Grand Est se distingue par son attractivité et son dynamisme économique. Seule Région de France ouverte sur quatre pays et 200 millions de consommateurs dans un rayon de 600 kilomètres, nous sommes aussi la deuxième région industrielle de France en matière de PIB. Cet ADN industriel est profondément ancré dans l’histoire de nos territoires qui ont été au cœur de la révolution industrielle du XVIIIe siècle avec la production de textile, le développement de l'industrie chimique et la construction mécanique. Dans un contexte de compétition mondialisée et d’accélération du changement climatique, nous nous sommes engagés avec force dans la bataille de l’emploi et de la réindustrialisation, et nous sommes devenus une véritable vitrine de la décarbonation de l’industrie.
Aujourd’hui, la Région Grand Est s’impose parmi les leaders de l’économie française et européenne, comme en témoigne la forte croissance des investissements directs étrangers ces dernières années. Depuis 2016, c’est près de 1 000 projets d’investissement représentant 30 000 emplois créés ou maintenus dans nos territoires. Ces résultats nous placent depuis plusieurs années sur le podium des régions les plus attractives de France.
 
AMMag : Quels sont les grands secteurs qui constituent actuellement sa force industrielle, et quelles stratégies mettez-vous en œuvre ?
Visite d’Artech'Drone, à Bétheny (Marne), par Franck Leroy, président de la Région Grand Est (au centre de la photo), le 25 mars 2024
F.L. : L’automobile, la métallurgie, la plasturgie, l’énergie et l’industrie pharmaceutique sont des filières majeures en Grand Est. Le dynamisme de notre économie est le fruit d’un travail de fond que la Région mène depuis plusieurs années afin d’accompagner les entreprises tout au long de leur vie, de leur création à leur développement, et cela, quelle que soit leur taille. À cette fin, nous avons structuré un écosystème d’accompagnement des entreprises en proximité au travers de nos 12 maisons de Région et des 9 agences de développement économique locales (ADIRA, Ardennes Développement, Business Sud Champagne, Inspire Metz, Lorr’up, Marne Développement, Meuse Attractivité, Moselle Attractivité et Vosges&Co). La CCI Grand Est et son réseau territorial, mais aussi la CCI France International et sa puissance de soutien à l’export et à l’internationalisation, sont également des atouts majeurs. Je pense aussi au réseau des Conseillers du commerce extérieur de la France.
Afin d’attirer de nouveaux investisseurs et de développer nos secteurs stratégiques, nous avons créé une agence régionale d’innovation et de prospection internationale, Grand E-Nov+, dans laquelle le pôle Invest Eastern France opère directement sur la détection, la qualification et la facilitation des implantations étrangères sur le territoire. L’ingénierie d’implantation est assurée par l’ensemble des acteurs territoriaux, au premier rang desquels les agences de développement économique locales. Les projets stratégiques font également l’objet d’une task force sur mesure pour accompagner les investisseurs dans leur phase stratégique et opérationnelle d’implantation.
Pour relever le triple défi industriel, numérique et écologique, nous soutenons massivement l’innovation avec nos pôles de compétitivité et nos centres de recherche, et nous proposons des parcours de transformation dédiés aux entreprises du territoire.
Visite du site EvoBus France de Ligny-en-Barrois (Meuse)
AMMag : Le Grand Est se distingue par la vitalité de ses exportations en se classant à la première place en France grâce, en particulier, à sa proximité avec l’Allemagne, son premier client, et à sa position centrale en Europe. Que représentent-elles, comment évoluent-elles et quelles mesures mettez-vous en place pour renforcer cette position ?
F.L. : Alors que la France n'a en effet plus connu d'excédent commercial pour les échanges de biens depuis 2002 et que le déficit commercial s'établissait à 54 milliards d'euros au premier semestre 2023, la Région Grand Est bénéficie d’une balance commerciale positive depuis de nombreuses années. Ces résultats sont évidemment liés à notre position géographique, mais surtout à la qualité des relations économiques que nous entretenons avec nos voisins ou avec les entreprises internationales nombreuses sur notre territoire. Ainsi, deux tiers de nos exportations se font vers l’Europe, dont 25 % vers l’Allemagne.
La part des exportations vers l’Allemagne est assez stable dans le temps, alors que nous développons de nouvelles relations économiques avec des pays européens ou extra-européens, à l’image du Québec, du Royaume-Uni ou encore du Japon.
En matière d’export, nous souhaitons booster les potentialités du tissu économique et particulièrement des PME et ETI. C’est l’objet du nouveau parcours export que nous avons adopté en juillet dernier en nous appuyant sur l’expertise de Team France Export et qui sera déployé dans le cadre de notre partenariat avec la CCI. En complément, les entreprises peuvent bénéficier d’une aide pour participer à un salon ou à une mission à l’international dans le cadre du Programme régional export Grand Est (PREGE). Cette aide est construite en complémentarité avec l’offre de Business France.
 
AMMag : Quelle stratégie la Région a-t-elle adoptée en vue de sa transformation écologique ?
F.L. : La transition écologique est un impératif, car nous avons tout à redouter du dérèglement climatique et de la disparition de la biodiversité. Il en va de la qualité de vie de nos enfants. Il en va aussi de l'avenir de pans entiers de notre économie : agriculture, industrie et eau, transports, tourisme… Le pari que nous faisons, c'est précisément celui de la transition environnementale. C’est à la fois un facteur d'attractivité, un levier de souveraineté (énergie à coût maîtrisé et stabilisé) et de nouveaux débouchés. Je pense notamment au développement de la bioéconomie. Ainsi, nous avons souhaité être pionniers en la matière en soutenant très tôt le développement des énergies renouvelables et la baisse des gaz à effet de serre. C’est aussi l’esprit de « Grand Est Région Verte », notre feuille de route de planification écologique construite en collaboration avec l’État en région. Réussir la transition écologique, c’est également changer nos façons de nous déplacer et donc investir dans les mobilités, dans le changement de notre parc automobile. C’est aussi changer notre stratégie industrielle et d’usage, et soutenir la rénovation thermique de nos bâtiments.
 
AMMag : Quelles sont les mesures que vous avez mises en place pour soutenir la formation, notamment dans les métiers en tension ?
F.L. : En 1987, la durée de validité d’une compétence technique était de 30 ans. Elle s’est considérablement réduite aujourd’hui. Avec la crise sanitaire et la baisse du chômage, les tensions de recrutement se sont accentuées : déjà prégnantes dans un certain nombre de secteurs, très peu de métiers sont épargnés par cette problématique, que ce soit à court ou à long terme. Développer les compétences de demain, c’est créer du lien entre nos universités, nos écoles supérieures, et les entreprises, le monde socio-économique. Relever les défis technologiques et préparer l’industrie de demain, c’est aussi favoriser le transfert des résultats de la recherche, du laboratoire vers les territoires.
Les tensions de recrutement trouvent leur origine dès la scolarité et la formation initiale : inadéquation de l’offre de formation, maintien de formations peu insérantes, manque de transversalité…
Pour corriger ces lacunes, j’accorde une grande importance à la réforme du lycée professionnel et à la carte des formations. Pendant trop longtemps, les lycées professionnels ont été vus comme des voies de garage. Or, avec l’État, nous voulons en faire des rampes de lancement. Cette double réforme viendra compléter la progression et la démocratisation de l’apprentissage.
 
AMMag : À l’heure où notre pays manque également d’ingénieurs, quelles réponses apportez-vous ?
F.L. : Les ingénieurs sont la pierre angulaire à la fois de la réindustrialisation et de la transition écologique. Leur métier est absolument nécessaire au fonctionnement et à la transformation de nos industries et de notre économie. C’est pourquoi nous soutenons fortement les 35 écoles d’ingénieur du Grand Est et faisons un travail sur l’attractivité de leur métier. Nous devons également préparer l’avenir, à l’image de l’école du photovoltaïque que nous allons créer dans le cadre de l’implantation d’Holosolis. Il va nous falloir aussi réinventer le lien entre formation et emploi, et plus globalement la relation école-entreprise. Déjà, certains entrepreneurs du Grand Est – je pense à Joseph Puzo avec Axon’ Cable – ont créé des stages de 3e intitulés « classes 4.0 en entreprise industrielle ». Je souhaite que nous puissions multiplier les expérimentations là où établissements scolaires et entreprises sont prêts à se lancer.
 
Propos recueillis par la rédaction
 
(crédit photos © STADLER RGE)