Métiers / Laboratoire

L’entreprise CTC est engagée depuis plus de 30 ans dans la mise au point d’une solution de traçabilité unitaire des cuirs. Elle vient de concrétiser ce défi. Description détaillée de sa solution globale ALIS qui repose sur cinq blocs permettant d’assurer une traçabilité totale, de la naissance jusqu’à la découpe des cuirs.
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Par Cédric Vigier et Paul d’Arras
Publié le 2024-05-23
L’entreprise CTC a aujourd’hui la capacité de proposer une solution industrielle de traçabilité globale de la supply chain du cuir. Cet enjeu est majeur pour toute la filière, aussi bien pour adresser des problématiques d’amélioration de la qualité des peaux que pour identifier clairement et formellement l’origine des matières premières en traçant les différents acteurs de la chaîne de transformation.L’atteinte de ce second objectif, absent à l’origine du projet, se montre de plus en plus nécessaire pour répondre aux questions relatives au bien-être animal, à l’économie des ressources naturelles, à la préservation des milieux naturels et à l’innocuité pour les consommateurs. S’assurer de la provenance des matières et composants constituant un produit s’avère de nos jours indispensable. Être capable de contrôler ses procédés industriels de transformation l’est également, afin de veiller au respect des normes environnementales ou sociales, ou encore du bien-être des animaux. Pour cela, il est impératif d’associer des données à un produit de façon fiable, sécurisée, automatique et industrielle.Il est donc évident que la traçabilité unitaire des peaux et cuirs constitue un enjeu majeur de la filière. Les outils développés par CTC, présentés dans cet article, permettent de générer automatiquement (sans intervention de l’humain) et industriellement (intégration au process industriel sans ralentissement des chaînes de fabrication ni ajout de postes supplémentaires) une donnée fiable et difficilement falsifiable, sur laquelle peut s’appuyer la filière cuir pour promouvoir sa gestion responsable et la maîtrise de sa matière.Les enjeux RSE sont désormais prioritaires, qu’ils soient utilisés comme vecteur de communication ou pour répondre à un cadre légal. Une marque ou une entreprise doit être en mesure de démontrer et de prouver ses allégations en la matière. La traçabilité est l’outil nécessaire pour y répondre.Si la génération de données constitue le point de départ d’un système de traçabilité amont et aval, la gestion de ces données est elle aussi un maillon indispensable. Elle exige à la fois un stockage sécurisé, un accès rapide et un traitement performant de restitution d’informations fiables à toute heure et en tout lieu.
ALIS : UNE TRAÇABILITÉ EN 5 BLOCS
La solution globale de traçabilité unitaire ALIS (Automatic Leather Identification System) repose sur cinq blocs permettant d’assurer une traçabilité totale de la naissance jusqu’à la découpe des cuirs. Elle s’appuie sur la traçabilité viande, réglementaire et obligatoire dans la majorité des pays industrialisés. Dans ces pays, les informations obligatoires sur la vie de l’animal sont fiables, sécurisées et disponibles auprès des abattoirs. Dans les États où la traçabilité viande n’est pas présente dès le stade de l’élevage, celle du cuir commencera à l’abattoir. Les informations en amont seront fournies de manière déclarative par ce dernier, mais le client en sera informé.La solution développée par CTC s’applique à tous les types de peaux. Même si les mises au point ont commencé par celles des veaux, la généralisation aux peaux de bovins et de caprins a été très simple et n’a induit aucune modification du process. Pour les peaux d’agneaux et de moutons, des adaptations ont été nécessaires afin que la technologie reste identique et permette d’obtenir la même qualité de résultat.
• Bloc 1 
Une image contenant Police, jaune, texte, ligne

Description générée automatiquementÉtiquette boucle d’oreille d’identification animale apposée à la naissance dans le cadre de la traçabilité viande.




 
Une image contenant texte, intérieur

Description générée automatiquementÉtiquette papier temporaire pour le transfert de traçabilité de la filière viande à la peau.
Le premier bloc consiste à apposer une étiquette unitaire sur chaque peau avant l’opération de dépouille sur la chaîne d’abattage. Cette étiquette, et plus particulièrement son inscription, est résistante : elle supporte le process amont de saumurage, avant le report à cœur de peau par technologie laser CO2 (cf. bloc 2). Cette étape permet de reporter la traçabilité entre la boucle d’oreille animale, qui représente la traçabilité viande, et le deuxième bloc.
 
• Bloc 2 : ALIS Marking
Le deuxième bloc est une pièce maîtresse de la technologie. Son dispositif est protégé par un co-brevet permettant son exploitation en Europe.Cette étape a pour but de reporter, à cœur de matière, les informations présentes sur l’étiquette, cette dernière ne résistant pas au process chimique et mécanique de rivière/tannage. Codéveloppé avec un intégrateur de système de marquage laser, le système ALIS Marking emploie un laser de moyenne puissance, entre 120 et 180 W par source de CO2.Les lasers à gaz CO2 sont des technologies connues et maîtrisées industriellement depuis plus de 20 ans. Ce sont les seuls à avoir une forte affinité avec les matériaux organiques.Le marquage est réalisé, de préférence, au collet de l’animal, de part et d’autre de la raie du dos, afin d’identifier les cuirs après la séparation en bandes, si cette opération est effectuée. Le temps de marquage pour un code de 16 chiffres, sur 2 lignes de 8 chiffres, est de l’ordre de la seconde. Il se révèle donc parfaitement intégrable en temps masqué dans un process de tri ou de pesée des peaux brutes. L’objectif de cette étape est d’obtenir un marquage persistant, contenant toutes les informations utiles à la traçabilité unitaire des peaux et complètement intégré industriellement. La sécurité y est un paramètre important. En effet, la mise en œuvre des sources laser de fortes puissances dans un environnement industriel ne doit pas mettre en danger les opérateurs.Ici, les tirs sont parfaitement confinés, ce qui exclut tout risque pour le personnel. De plus, les fumées sont aspirées à la source afin d’éviter la pollution odorante de l’atelier, laquelle ne serait pas acceptable pour les opérateurs.Les peaux sont marquées au stade brut salé, même si l’opération est possible au stade frais. La seule différence entre ces deux phases est le temps de marquage ou la puissance du laser à mettre en œuvre. En effet, le process de marquage utilise l’ablation thermique par rayonnement laser et, lorsque la peau est hydratée (stade frais), il faut dissiper l’eau en vapeur avant de pénétrer le derme. Pour cela, deux solutions existent :- marquer plus lentement avec la même puissance de laser (temps de contact plus long et pénétration plus profonde) ;- conserver un temps de marquage plus court et accroître la puissance du laser pour augmenter la densité d’énergie au point de focalisation.Autre cas possible : marquer directement sur la chaîne d’abattage avec le laser. Cette approche, si elle permet de s’affranchir de la pose d’étiquette liée au bloc 1, apporte des contraintes de production qui sont difficilement envisageables pour la filière viande.Les peaux de bovins et de caprins sont marquées côté fleur, c’est-à-dire à travers le poil. Le marquage utilisé est ici continu, car non transperçant. Les peaux d’ovins, quant à elles, le sont côté chair, en transperçant la peau, car leur laine possède deux spécificités : une épaisseur non prédictible et un risque de prise au feu lors du marquage. Une police d’écriture particulière, constituée de points, a dû être développée afin, d’une part, d’obtenir des marquages lisibles et, d’autre part, d’éviter un effet timbre-poste qui favorise la déchirure du marquage et crée des amorces de déchirure de la peau dans la suite du process.

Version manuelle du système de marquage au laser CO

 
Évolution du marquage aux différents stades du process :
 
• Bloc 3 : ALIS Reading
Le troisième bloc, qui différencie fortement la technologie de CTC des solutions concurrentes, offre la possibilité de relire automatiquement, industriellement et de manière non destructible ces marquages aux différentes étapes du process de tannage.Le fait de marquer des peaux brutes sans avoir la capacité de les relire automatiquement n’a pas de sens, car aucun opérateur, dans aucune industrie, n’a les moyens de lire visuellement chaque marquage.La technologie ALIS Reading s’appuie sur une acquisition d’image par vision industrielle. Celle-ci est permise par des caméras industrielles linéaires ou matricielles intégrées à différentes étapes de tri aux stades tanné et semi-fini, ou sur des convoyeurs alimentant ou déchargeant des machines du process de tannerie (telles une essoreuse, une ligne de finissage ou une mesureuse).Une fois acquise, l’image précise de la zone marquée passe par un mixte d’algorithmes de traitement d’image et de réseau de neurones (intelligence artificielle), développés et entraînés au sein de l’entreprise. L’IA est ici nécessaire pour s’adapter à la déformation des marquages induite par le process ainsi que par l’élasticité propre aux peaux. Le taux de bonne relecture est supérieur à 90 % quand les marquages sont corrects. CTC travaille également sur l’optimisation des algorithmes précités afin de les généraliser aux différents stades du process de tannerie et de gagner les quelques pourcents manquants. Pour l’heure, cela se traduit essentiellement par l’amélioration des étapes en amont de l’acquisition d’image (mise à plat, ouverture des plis, etc.).Le système ALIS Reading, lui aussi entièrement automatique, ne demande aucune intervention supplémentaire aux opérateurs pour assurer la traçabilité unitaire des peaux dans le process de tannerie. Il participe en revanche à l’amélioration de la qualité des peaux. En effet, au stade tanné, le numéro unique de l’animal est associé avec précision aux défauts présents à la surface de la peau. Cette traçabilité précise permet de mener des actions correctives ciblées, sur les élevages, les sites d’abattage et le transport.
Système ALIS Reading de lecture automatique des marquages sur poste de tri qualité.
 
• Bloc 4 : ALIS Tracking
Au cours du process conduisant au stade fini, la solution de la vision industrielle pour relire les numéros uniques présente des limites. En effet, les différentes couches de finition ajoutées pour apporter de la brillance, affiner la couleur définitive, ajouter un grain, etc., la rendent inopérante, car elles viennent recouvrir et combler le marquage fait par le laser. Au vu de la diversité des finissages possibles, il serait illusoire de vouloir adapter le poste d’acquisition, d’une part, et les algorithmes, d’autre part, à chaque cuir. L’entreprise développe donc une solution basée sur la radio-identification (RFID) afin de réaliser le report de traçabilité du marquage laser. L’opération consiste à coller un tag RFID sur la « patte » arrière droite et d’associer son code au numéro unique lu par le système ALIS Reading, permettant ainsi le suivi de la peau jusqu’à la table de découpe du maroquinier. CTC dispose aujourd’hui de tags résistant aux processus de finition des cuirs et procède actuellement à des tests industriels. En associant l’ensemble de ces systèmes à un MES(1) (GPAO[2]), un suivi qualité en temps réel et une analyse ciblée des variations de process deviennent possibles.
 
• Bloc 5 
Le cinquième et dernier bloc permet de gérer les données. Les quatre premiers blocs peuvent être connectés à la GPAO de la tannerie afin de stocker, sécuriser, traiter et restituer en temps réel des rapports d’analyse sur la production. Cependant, il est possible d’aller plus loin dans la gestion de ces informations en travaillant avec une blockchain. L’intérêt de cette dernière prend son sens lorsque l’entreprise souhaite partager l’information à l’extérieur. La GPAO facilite la traçabilité interne, la blockchain facilite la traçabilité externe. En effet, chaque bloc peut être connecté à une blockchain, qu’elle soit privée ou publique, afin de remonter des informations limitées comme l’identifiant unique de la peau, la date et le lieu d’inspection (pose de l’étiquette, marquage laser ou lecture des identifiants). CTC crée des chaînes de blocs sur chacun de ces éléments temporels, ce qui lui permet d’avoir une cartographie précise de l’origine et des différents acteurs de la supply chain ayant contribué à la transformation de la peau en cuir. Des codifications de marquage sont en cours de normalisation afin d’obtenir une interopérabilité des systèmes de traçabilité des cuirs.
UNE SOLUTION MATURE

La solution de traçabilité ALIS est mature : en France, elle est opérationnelle en mode industriel dans plusieurs abattoirs et tanneries depuis 2017. À ce jour, l’entreprise a conçu et installé dix unités de marquage laser en abattoir ou en tannerie. Cinq systèmes de lecture au stade tanné ont été déployés industriellement au cours des cinq dernières années, et les développements aux stades semi-fini et fini sont en cours de finalisation.Aujourd’hui, seule la solution laser s’avère viable (au sens industriel) pour garantir le lien de traçabilité entre l’abattoir et la tannerie. L’agressivité du process de tannage/rivière rend caduques beaucoup d’autres approches. La relecture automatique et industrielle proposée par CTC permet également d’avoir une solution cohérente et globale sur l’ensemble de la filière.

Cliquer ici pour un exemple d'application chez Tanneries HAAS


Cédric Vigier et Paul d’Arras

(1) Manufacturing Execution System, ou système de contrôle de la production.

(2) Gestion de la production assistée par ordinateur.

photos / crédit pour toutes : © CTC

Petite histoire de CTC
L'histoire de CTC démarre avec la création de l'École française de tannerie, à Lyon, en 1899. Maison au service des métiers du cuir, de la chaussure et de la maroquinerie, CTC a développé au fil des années une expertise mondialement reconnue, tout en conservant un attachement très fort pour les entreprises françaises. À l'origine atelier expérimental pour accompagner les industriels français dans la transformation de la peau brute, CTC a progressivement évolué tout au long de la première moitié du XXe siècle. Ses activités étaient alors principalement axées sur la lutte contre le varron – un parasite – et plus généralement sur la qualité de la peau, autour de deux entités : l'Institut de recherche pour les industries du cuir (IRIC) et le Centre national de la lutte contre le varron. Mais c'est en 1961 que CTC prend son essor sous la forme d'un centre technique industriel : le « Centre technique du cuir » était né ! Les produits finis occupant une place grandissante, « le » CTC prend le nom de Centre technique Cuir, Chaussure, Maroquinerie en 1984, ouvrant davantage son action aux industriels de l'aval de la filière cuir. Ses débuts à l’international en 1996, afin de suivre les entreprises françaises développant leurs activités à Hong Kong, constituent un autre temps fort. Le 12 juin 2008, il fusionne avec le Comité interprofessionnel de développement des industries du cuir (CIDIC) et l'association B2S (Bureau de Style) pour donner naissance à l'entreprise « CTC ».