Point de vue / Idées
Autonomie et solidarité

Autonomie et solidarité
Petit à petit, l’idéal de vivre de manière autonome se verra supplanté par "l’idéal de vivre protégé".
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Par Michel Harmant
Publié le 2024-05-21
Il a fallu, aux êtres humains, des millénaires pour édifier des structures sociales en équilibre entre autonomie individuelle et solidarité. Le progrès technique a été, et reste, un facteur essentiel de cette édification.
De nos jours, nantis de pouvoirs sans précédent dans l’Histoire, les États et les meneurs de la finance internationale étendent leur emprise sur la vie privée des citoyens. Ils les rendent de plus en plus dépendants, physiquement et moralement. La privation presque totale de libertés sous le prétexte de l’épidémie du Covid n’est peut-être qu’un avant-goût de la domination à laquelle les peuples seront soumis au nom de la sécurité, de la prévention, des précautions sous toutes leurs formes. Petit à petit, l’idéal de vivre de manière autonome se verra supplanté par l’idéal de vivre protégé. Le crédit social et le permis citoyen sont à nos portes. La monnaie numérique, généralisée, contrôlera en permanence le pouvoir d’achat de chacun et enlèvera aux individus toute capacité, puis toute envie, de s’émanciper. L’indépendance et la liberté des personnes et des peuples n’ont jamais été autant menacées qu’en ce début de XXIe siècle.
Cette évolution des mœurs politiques ne peut pas laisser indifférents les ingénieurs, principaux façonniers du progrès technologique qui produit une telle capacité de domination des masses par un groupe restreint de personnes et d’organismes dirigeants. Sans ignorer les bienfaits des inventions et des innovations techniques qui améliorent l’accès de tous aux biens matériels, à la santé, au confort, aux loisirs et à la culture, il est utile de réfléchir au bon emploi des retombées du génie créateur auquel les ingénieurs contribuent. Ces retombées continuent-elles d’ouvrir la voie à l’expansion simultanée de la solidarité et des libertés individuelles ?
Croire que l’usage des technologies innovantes est toujours vertueux est un peu illusoire, mais, en dénonçant le détournement des fruits du génie créatif à des fins de domination ou d’oppression, on ne se rend pas coupable de désobéissance. Les chemins de l’ingéniosité, de la sagesse, du respect de la nature et des personnes sont gratifiants lorsqu’ils protègent la liberté des générations futures. Il est certes difficile, aux ingénieurs d’aujourd’hui, d’apprécier l’utilité profonde des travaux qui leur sont commandés. Les débouchés des projets ne sont pas toujours visibles, et l’abondance de recommandations et de slogans diffusés par le pouvoir sous l’influence de conseils, inaccessibles au public, nourrit l’opinion de résolutions relevant davantage du gargarisme intellectuel que de la réalité technique. Soucieux de renouveler leurs marchés, les industriels sont sensibles aux incitations financières qui orientent leurs travaux de recherche et développement vers des objectifs, choisis par le pouvoir, faisant parfois peu de cas de l’adéquation entre le but visé et l’éthique de l’ingénieur. L’apprentissage de son métier fait de l’ingénieur un visionnaire lucide et compétent. En plus de son talent, il a besoin de toute sa force de caractère pour défendre son point de vue, critiquer des initiatives trompeuses, proposer des techniques et des procédés innovants, en adéquation avec sa vision humaniste du monde.