Industrie / Interview
De l’intelligence artificielle à l’intelligence augmentée

De l’intelligence artificielle à l’intelligence augmentée

Président de Braincube, une entreprise spécialisée dans l’intelligence artificielle industrielle qui a récemment levé 83 millions d’euros, Laurent Laporte (Bo. 190) dit sa vision d’une discipline en pleine expansion. Simple, clair, direct.
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Par Djamel Khames
Publié le 2024-03-31

 

 

 

AMMag : Pourquoi les industriels doivent-ils s'intéresser à l'intelligence artificielle ?
Laurent Laporte : L’enjeu, c’est la poursuite sans fin de la productivité pour maintenir ou augmenter les profits dans les usines.
 
AMMag : Quels sont les champs d'application de l'intelligence artificielle dans l'industrie ?
L.L. : L’intelligence artificielle est une famille de nouvelles technologies qui suivent celles de l’informatisation massive des usines, avec des automates, des réseaux et des serveurs. Les données collectées puis contextualisées permettent, quand on sait les utiliser, d’apprendre, de prédire, de prescrire. L’intelligence artificielle, c’est la suite logique de la mécanisation. Pour continuer à gagner en productivité, il faut désormais améliorer, voire automatiser ses prises de décision. Et tout ça en temps réel, dans des systèmes de plus en plus compliqués.
On va utiliser ces nouvelles technologies pour aider les équipes à mieux mesurer (computer vision), à prédire, anticiper, optimiser, alerter, recommander, apprendre et se former. Je préfère d’ailleurs le terme d'intelligence augmentée.
 
AMMag : Il y a différentes intelligences artificielles, dont la générative qui fait les choux gras des médias. Qu'est-ce qui les différencie et comment les choisir ?
L.L. : Il faut voir l’intelligence artificielle comme une nouvelle boîte à outils. Chaque technologie est adaptée à un usage principal. Le principe théorique est celui de l’apprentissage à partir des informations descriptives du contexte à étudier. Il y a beaucoup de défis à relever pour progresser dans les usines, tels que la maîtrise du processus, la maintenance des équipements, la logistique, la formation, l’information, la mesure de la performance, l’adaptation aux conditions, etc. Il y aura des intelligences artificielles spécifiques pour tous ces contextes.
 
AMMag : L'intelligence artificielle évolue très vite, aussi bien en termes de puissance que de concepts. Faut-il lui faire confiance les yeux fermés ?
L.L. : Oui et non. L’industrie est un paradis pour l’intelligence artificielle : grande quantité de données de bonne qualité, très descriptives, et les problèmes à résoudre sont compliqués et techniques, rarement humains. Les solutions sont applicables et vérifiables immédiatement la plupart du temps. Si ça ne donne pas les résultats attendus et qu’on ne peut pas progresser dans l'apprentissage, alors il faut changer de technologie ou abandonner pour le moment le projet.
 
AMMag : Que pensez-vous des offres des grands de l'Internet comme Google, Microsoft ou Baidu ? Ne sont-ils pas en train de nous refaire le coup des oligarchies Gafam ou BATX ?
L.L. : Leur maîtrise technologique est impressionnante. Mais très peu spécifique. Il y a un vrai travail de configuration pour adapter leurs outils au monde industriel. Il y a deux pièges, à mon avis : le piège historique de la nécessité d’une intégration par un tiers longue et très coûteuse, et le nouveau risque de fuite de données dans leurs infrastructures si on ne peut pas les privatiser. À ce jour, ces sociétés développent des technologies très attractives, mais souvent avec des modèles d’affaires qui me semblent incompatibles avec les enjeux stratégiques de cybersécurité et de confidentialité. L’industrie, c’est avant tout du savoir-faire à protéger impérativement. Il faut faire confiance aux spécialistes qui développent des solutions dédiées à l’industrie et proposent des intégrations compatibles avec les exigences justifiées.
 
Propos recueillis par Djamel Khamès