Point de vue / Histoire & Patrimoine
les salles et salons conviviaux

les salles et salons conviviaux
Nouvelle visite, nouvelles découvertes de l’hôtel d’Iéna avec Michel Mignot (Cl. 160) pour guide, son grand exégète. Redécouvrons le rez-de-chaussée et le sous-sol en sa compagnie.
Les espaces d’honneur prestigieux décrits dans les chapitres précédents ne doivent pas occulter les nombreux et vastes espaces conviviaux de réception à « l’honneur » dans ce numéro : le restaurant Les Arts, ses annexes que sont les salons Monge, Berthollet et Laplace, et, enfin, la grande salle La Rochefoucauld, encore modernisée tout récemment.
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Par Michel Mignot (Cl. 160)
Publié le 2024-03-12
LE RESTAURANT « LES ARTS », UNE BELLE TABLE PARISIENNE
Cette salle, d’une centaine de couverts, bien connue des Gadzarts, devient de plus en plus familière à d’autres Parisiens, qui apprécient le chic du lieu et la qualité de la cuisine et du service. Bien que les repas soient servis sous les roues d’une « Richard-Brasier » roulant à pleins gaz sur le circuit d’Auvergne, vainqueur de la coupe Gordon-Bennett en 1905, la quiétude du lieu favorise la convivialité des échanges et le plaisir de la dégustation. La vue sur la terrasse, particulièrement appréciée aux beaux jours, et sur le verdoyant jardin privatif, rare dans la capitale, renforce le charme du lieu.
 
« Richard-Brasier » roulant à pleins gaz sur le circuit d’Auvergne, vainqueur de la coupe Gordon-Bennett en 1905 : ce tableau fut offert par Brasier en 1935 (voir AMMag nos 437 et 439, ainsi que la « Grande figure » de septembre 2013 sur Charles-Henri Brasier [Ch. 1880]).Mme Roberte Singer retrouve, à 104 ans, lors d'une visite à l’hôtel d’Iéna en mars 2023, le lieu où elle est née. Elle montre à sa famille le jardin où elle jouait, prenait ses goûters et admirait les chevaux d'attelage au repos.
 

MONGE, BERTHOLLET ET LAPLACE : TROIS SALONS INTIMES

Rappelons que les grands et talentueux Monge, Berthollet et Laplace, respectivement mathématicien, chimiste et astronome, ont formé en 1802, avec Costaz et Conté, la commission présidée par Chaptal, ministre de l’Intérieur, pour donner un nouvel élan au prytanée de Compiègne afin de l’orienter davantage vers les métiers de l’industrie naissante que vers les carrières militaires.Cette évolution fondamentale provient d’une exigence du premier consul Bonaparte, formulée après une visite inopinée qui l’avait fort mécontenté. Le rapport de Chaptal daté du 4 février 1803 inspira directement l’arrêté du 25 février 1803, signé de Bonaparte, transformant le prytanée de Compiègne et ses 400 élèves en première école d’Arts et Métiers, avec, notamment, la création d’ateliers d’enseignement pratique dans l’établissement. C’était le vœu le plus cher de La Rochefoucauld-Liancourt, très lié à Chaptal, les deux hommes partageant le même idéal de progrès économique par la promotion des sciences appliquées aux arts.Situés au rez-de-chaussée, les trois salons Monge, Berthollet et Laplace, dotés chacun d’une capacité d’une vingtaine de places, accueillent, sur réservation exclusivement, réunions particulières et repas de groupes.

Le Salon Monge, mitoyen de la grande salle du restaurant Les Arts, peut ainsi en constituer une petite extension ou un salon particulier.Il s’orne d’un portrait de Gaspard Monge (1746-1818) – reproduction d’un tableau de Jean-Guillaume-Elzidor Naigeon – le représentant en président du Sénat, mandat qu’il remplit sous le Consulat et l’Empire.
Un tableau, richement borné par quatre rangs d’or, Le Spadassin et la Tavernière, œuvre de l’Italien Luigi Giorgio Baldero dans les années 1880, pare le mur latéral. Il capte deux jeunes personnes installées à la terrasse d’une taverne, meublée d’une vieille barrique, d’un tabouret et d’une table sur laquelle repose un pichet frais. C’est l’instant décisif où les regards se croisent avec curiosité et première audace. Le mousquetaire moustachu, dont l’épée surgit hors du costume bleu clair, porte une tenue vestimentaire recherchée. Plus modeste, la paysanne à l’allure naturelle s’est déchargée de sa cruche à lait et de son foulard. Elle respire en un buste corseté, qui souligne la finesse de sa taille, et dévoile une cheville fort gracieuse. Une pie, robe noir et blanc juchée sur une terrine à terre, de son œil vif considère la scène.

Sur le mur du fond, côté jardin, une riche tapisserie représente un forgeron et un peseur de métal. Les Gadzarts y seront sensibles… Il s’agit d’une réplique de L’Art de la pesée et de la forge, une œuvre en laine et soie, du premier quart du XVIe siècle, dans les réserves du musée de Cluny, à Paris. Cette tapisserie d’Halluin, à l’écusson aux trois lionceaux lampassés et couronnés, appelée Les Arts du feu, met en scène le forgeron Tubalcaïn, référence biblique en lien avec les arts de la forge et de la musique, et Phidon d’Argos, concepteur grec des poids et balances. Le duo se détache bien du magnifique fond, dit « millefleurs », de cette impressionnante tapisserie en laine et lin. Le premier, bras courbé, tête nue et pieds bien protégés, travaille avec vigueur sur sa haute enclume près d’un feu, flammes montantes. Le second, chapeauté et botté, arbore sa juste balance manipulée avec expertise et soin.Le décor floral aux couleurs contrastées comprend aussi du houx en fruit, des grappes de raisin et un gros champignon clair. Les plantes dessinent, dans une simplicité réelle, feuilles, pétales et tiges frêles. Et parmi ce végétal aux motifs répétés se distinguent trois oiseaux sauvages aux longues plumes et un lapin égaré. Le résultat est très esthétique.






Le salon Berthollet est décoré d’un portrait du médecin-chimiste Claude-Louis Berthollet (1748-1822), dessin au fusain gravé à l’eau-forte par le peintre-graveur André Dutertre en 1800. Tous deux ont participé, comme Monge et Conté, aux campagnes d’Italie et d’Égypte de Bonaparte, au sein de la Commission des sciences et des arts.Quelques gravures et photos évoquent les différents centres des Arts et Métiers.
((légende salon Berthollet : photo J))Portrait de Claude-Louis Berthollet (1748-1822).

Le salon Laplace abrite un portrait du mathématicien-astronome Pierre-Simon Laplace (1749-1827), réduction du tableau réalisé par le peintre Paulin Guérin, auteur du portrait officiel de Louis XVIII.Quelques feuilles de promotions Arts et Métiers évoquent la vie des Gadzarts dans les centres depuis deux siècles.

En descendant de ces salons jusqu’au niveau du salon Monge, l’on peut rejoindre le hall d’entrée de l’hôtel par un couloir orné de gravures rappelant les origines de l’École, avec un autre portrait de son fondateur, le duc de La Rochefoucauld-Liancourt, par le peintre illustrateur Henri Grévedon, et de nombreuses personnalités des XVIIIe et XIXe siècles.
 
Des gravures anciennes du domaine de Liancourt, réalisées par le Lorrain Israël Silvestre, évoquent l’environnement des débuts de l’École à Liancourt, de 1780 à 1800. une aquarelle d’Alfred Aubry (An. 1891), dont son fils Jean-Albert Aubry (Pa. 1925) fit don à la Soce, rappelle l’évolution des uniformes de l’École au XIXe.                                                                                                                      
Enfin, une gravure du château de Compiègne (qui abrita l’École entre Liancourt et Châlons, avec la cour de l’orangerie) entourée des tout premiers ateliers des Arts et Métiers en 1803.
Dans l’axe du hall d’accueil, au rez-de-chaussée, un majestueux et long escalier conduit au niveau inférieur.
Son arrivée finale directement dans le foyer sera aménagée après les travaux programmés à l’été 2024 par Club Iéna, filiale de la Soce. Ainsi seront gagnés quelques précieux mètres carrés supplémentaires, au bénéfice du hall précédant la grande salle La Rochefoucauld. Ce hall rassemble pour nos nombreux visiteurs quelques éléments historiques :- l’impressionnant aigle impérial, en bronze ciselé et patiné, qui surmontait la porte d’entrée de l’École impériale d’arts et métiers de Châlons-sur-Marne, de 1807 à 1815 ;- un portrait du duc de La Rochefoucauld-Liancourt d’après un original du peintre Antoine-Jean Gros de 1824 ;- un porte-documents, marocain rouge de 1777, au nom de M. de La Rochefoucauld ;- différents objets et médailles commémoratives ;- des vitraux formant trois panneaux rappelant les différents centres des Arts et Métiers : Châlons (1806), Angers (1815) et Aix (1843) sur le panneau de gauche ; Cluny (1891), Lille (1900) et Bordeaux (1963) sur le panneau de droite, et, enfin, sur le panneau du centre, Paris (1912), Liancourt (de 1780 à 1800), « berceau de l’École », et Metz (1996). Le revers de la médaille frappée pour les 150 ans de la Soce (1947 - 1997), avec la superbe et fidèle gravure de la façade de l'hôtel d'Iéna
La grande salle La Rochefoucauld
Offrant jusqu'à de 300 places, elle accueille quasi quotidiennement des événements des Arts et Métiers ou de clients de Club Iéna. Sa dernière rénovation, en 2023, en a encore amélioré le confort. Elle offre notamment des moyens multimédias des plus modernes et dispose d’une estrade à géométrie variable permettant différentes configurations pour les utilisateurs.
La salle La Rochefoucauld : une assistance captivée par le discours que prononça Catherine MacGregor, directrice générale d’Engie, le 11 décembre 2023.

Ce chapitre clôt la visite des espaces ouverts au public et confiés à Club Iéna. Les prochains traiteront des étages 2, 3 et 4, plus spécifiquement attribués à la Soce et à la Fondation Arts et Métiers, qui ne manquent pas non plus de belles découvertes.

Michel Mignot (Cl. 160)

Sources• Archives de la Fondation Arts et Métiers de Liancourt.• Archives et fascicule de Club Iéna « En parcourant les salons de l’hôtel des Arts et Métiers », réalisé par Claude Counil (Bo. 168).