Industrie / Territoire
Nouveau campus Arts et Métiers du Havre : « la Région a bataillé ! »

Nouveau campus Arts et Métiers du Havre : « la Région a bataillé ! »
Hervé Morin, président de la Région Normandie, parle de mise en œuvre de la stratégie de développement économique de la Normandie, en défend le bilan et donne plusieurs éléments sur le nouveau campus de l’École nationale supérieure des arts et métiers du Havre.
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Par Propos recueillis par Éric Roubert
Publié le 2024-01-24

AMMag : L’industrie se développe à l’Ouest, notamment en Normandie. Quel bilan faites-vous de vos actions en matière de développement économique ? Qu’avez-vous entrepris pour améliorer l’attractivité industrielle de la région ? Quelle est votre recette ?

Hervé Morin : La Région a travaillé depuis 2016 à la mise en place d’un écosystème unique en France pour accompagner le développement des entreprises. À travers son Agence de développement pour la Normandie, elle a déjà mobilisé près de 650 millions d’euros afin d’accompagner 16 000 projets d’entreprises. Elle dispose également de nombreux outils innovants, tels que Normandie Participations, un fonds souverain 100 % normand qui permet de renforcer le capital des entreprises avec l’objectif de les aider à se développer ou à se lancer sur le marché normand (42 M€ investis par la Région dans 70 entreprises). Cet écosystème va continuer à se développer avec l’objectif de doubler le nombre d’entreprises dans lesquelles la Région est actionnaire de référence, et de créer un service complémentaire afin d’accompagner les transmissions des PME.

La mise en œuvre de la stratégie de développement économique de la Normandie est une priorité, car l’activité de nos entreprises est au cœur de notre capacité à innover et à créer de l’emploi. Afin de préparer l’avenir et de permettre aux entreprises normandes de rester compétitives et à la Normandie de continuer à attirer les investissements, locaux comme internationaux, la Région soutient plus particulièrement les filières qui font d’ores et déjà l’excellence de la Normandie, comme l’aéronautique, l’automobile, le numérique, la logistique ou encore le flaconnage de luxe. Un nombre important de ces filières ont en commun le fait qu’elles représentent des secteurs industriels de notre économie. La Normandie est en effet la région la plus industrielle de France pour la part de l’industrie dans la valeur ajoutée du territoire : 20 %, soit plus de 17 milliards d’euros par an contre 13 % au niveau national.

Son tissu industriel étant l’une des principales forces de la Normandie, la Région est particulièrement mobilisée pour accélérer la transformation énergétique et industrielle qui permettra à notre territoire de devenir une région-moteur au cœur de l’Europe de demain.

Cette dynamique de développement a déjà débuté, avec des annonces d’implantations industrielles majeures sur l’Axe Seine qui représentent des centaines de millions d’euros d’investissements. Ces implantations viennent conforter la politique ambitieuse que mène la Région pour développer le potentiel qu’offre l’Axe Seine et pour renforcer la position de la Normandie comme leader industriel. Dans ce contexte, nous menons un travail systématique d’identification d’opportunités industrielles. La période post-Covid est propice à ce type de démarche tant ce qui semblait être immuable en termes d’organisation industrielle pour certains groupes apparaît avoir été remis en cause par leurs dirigeants. C’est le cas pour la Normandie où les initiatives régionales des derniers mois ont permis à de nombreux projets d’émerger. Qu’ils soient dans les domaines des protéines végétales, de l’industrie pharmaceutique, de l’automobile, du BTP, du recyclage plastique ou de la flaconnerie, les projets se développent massivement et s’inscrivent pleinement dans le cadre de l’action de la Région.

AMMag : Comment voyez-vous la transition énergétique dans votre région ?

H.M. : Dès 2019, j’ai souhaité créer le GIEC normand qui rassemble 25 experts chargés de faire le point sur les impacts du changement climatique en Normandie, de donner de grandes lignes directrices et de fournir des estimations fiables des prospectives climatiques en Normandie d’ici à 2100 pour sensibiliser les décideurs, les populations et les acteurs du territoire quant aux conséquences du changement climatique, et ainsi massifier les actions de lutte et d’adaptation à ce changement les mieux adaptées à la Normandie. Ce vaste travail a abordé des thématiques telles que les aléas météorologiques, la qualité de l'air, l’eau, l’agronomie ou encore la santé.

Face aux résultats des travaux menés par le GIEC normand, la Région se fixe pour ambition de mener une transition écologique qui soit capable de répondre aux enjeux climatiques et de préserver les ressources naturelles, tout en favorisant le développement économique local et l’équité sociale. Parmi ses chantiers prioritaires, la Région souhaite faire de la transition écologique une opportunité pour s’engager pleinement vers une industrie et une économie décarbonées portant le développement du territoire dans les décennies à venir en s’appuyant sur un mix énergétique propre et diversifié.

En ce sens, la Normandie est une région absolument stratégique pour l’avenir économique et énergétique du pays. Avec huit tranches nucléaires en service, la Normandie représente 13,5 % du mix électrique français, pour 4 % de la consommation d’électricité du pays. En 2040, après la mise en service des trois EPR de Flamanville et de Penly, et celle des parcs éoliens offshore en construction ou en discussion, la Normandie représentera plus de 20 % du mix électrique français, alors que la consommation finale d’électricité aura augmenté de 40 %.

En France, la Région Normandie fait, par exemple, figure de précurseur dans le développement des nouveaux usages de l’hydrogène en ayant adopté, dès 2018, le Plan Normandie Hydrogène pour lequel elle a décidé de mobiliser plus de 50 M€ d’ici à 2027 afin de faire de la Normandie l’une des régions leaders sur le développement de cette énergie d’avenir en Europe. Grâce au courant du raz Blanchard à la pointe du Cotentin, premier potentiel hydrolien commercialement exploitable au monde, nous nous mobilisons également massivement pour structurer une filière normande autour de l’énergie hydrolienne, une énergie propre et prédictible offrant des potentiels de production d’électricité absolument gigantesques. Alors que l’État avait abandonné la filière en 2019, la Région a continué à se battre pour que le projet de ferme pilote hydrolienne Flowatt puisse voir le jour. Grâce à notre pugnacité, nous avons été entendus. Nous nous réjouissons d’ailleurs de la décision récente de l’État de soutenir le développement de ce projet dans le raz Blanchard.

AMMag : Alors qu'il est de plus en plus difficile de recruter dans l'ensemble des filières industrielles, quelles mesures mettez-vous en place pour soutenir la formation, notamment sur les métiers en tension ?

H.M. : Dans le cadre de sa politique en faveur de la formation et de la montée en compétences des Normands, la Région met tout en œuvre pour que le secteur industriel puisse recruter en nombre des personnes qualifiées. Tout d’abord, par le biais de l’Agence régionale de l’orientation et des métiers, nous œuvrons à la démocratisation et à l’attractivité des formations aux métiers de l’industrie. Le sens de notre action est de donner envie aux jeunes, en particulier aux filles qui représentent un public traditionnellement éloigné des métiers industriels, mais aussi aux personnes en recherche d’emploi, de suivre un parcours de formation leur permettant d’évoluer dans le secteur porteur de l’industrie.

Par ailleurs, la Région se mobilise pour renforcer l’offre de formation des métiers industriels en tension. En 2024, ce sont ainsi près de 4 200 places de formation professionnelle continue qui sont proposées par la Région pour former les demandeurs d’emploi à des compétences métier répondant aux besoins importants exprimés par les entreprises normandes. Parmi ces places, près de 900 sont consacrées à des métiers industriels pour un budget de plus de 10 M€.

Au-delà de ces formations, nous finançons et accompagnons les entreprises dans le recrutement de personnels qualifiés, en mettant en place des formations clés en main, portées par des organismes de formation reconnus. Cela permet d’élaborer un programme de formation adapté aux besoins spécifiques des entreprises. En 2022 et 2023, ce sont près de 350 places de formation qui ont ainsi été financées sur des métiers industriels pour un budget de 3,2 M€. Sur cette période, la Région a accompagné plus d’une trentaine d’entreprises dans des secteurs industriels variés tels que la construction automobile, l’industrie chimique, le nucléaire, le textile, l’agroalimentaire ou encore l’industrie navale. En complément, la Région soutient également, depuis juillet 2023, les entreprises souhaitant former leurs futurs salariés exclusivement sur leurs sites de production.

Enfin, la Région Normandie est partie prenante de nombreux projets liés à la décarbonation de notre secteur industriel et pour lesquels elle intervient notamment dans le cadre de la recherche de compétences nouvelles. Ainsi, la Région accompagne, par exemple, EDF dans le projet de création du futur EPR de Penly, la filière hydrogène au travers du projet « DEF’Hy » ou encore les industriels des secteurs naval et nucléaire grâce à la création d’une école d’excellence autour des métiers du soudage.

AMMag : La France manque d'ingénieurs. Concernant leur formation, vous avez ouvert récemment le dossier d’un centre Arts et Métiers au Havre. Où en sommes-nous ?

H.M. : Le départ de nombreux étudiants normands vers d’autres régions pour poursuivre leurs études pose la question de l’offre de formation supérieure en Normandie et donc de son attractivité dans ce domaine. De façon à stopper cette hémorragie, rédhibitoire pour la construction d’une région innovante et dynamique, l’accueil sur notre territoire d’écoles de formation supérieure a été et sera considérablement renforcé. Nous mettons tout en œuvre pour accueillir, en moyenne, l’installation d’un établissement d’enseignement supérieur par an en Normandie, et tout particulièrement s’agissant d’écoles d’ingénieurs. Les implantations de l’ITII [Institut des techniques d'ingénieur de l'industrie] sur le Campus de l’Espace, à Vernon, en 2018, de l’ISEN Yncréa à Caen en 2019 et du CESI à Caen en 2021 permettront de doubler le nombre d’ingénieurs formés en Normandie dans les années à venir. À cela s’ajoutent la première école vétérinaire privée en France portée par UniLaSalle sur le campus de Mont-Saint-Aignan et une antenne de l’Institut catholique de Paris à Rouen. Cette dynamique se poursuivra dans les années à venir avec, notamment, l’extension de l’école Builders et du campus Sciences Po à Caen, ainsi que celle du Campus équin de Goustranville. Depuis la réunification de la Normandie en 2016, nous avons également fait le choix d’augmenter de 25 % le nombre de demandeurs d’emploi inscrits dans des parcours de formation financés par la Région.

Concernant le nouveau campus de l’École nationale supérieure des Arts et Métiers (Ensam) du Havre pour lequel la Région a bataillé, l’université du Havre et les Arts et Métiers ont affirmé leur souhait de s’associer pour accompagner la montée en compétences du tissu industriel normand, et de porter un projet commun en termes de formation, de recherche et d’innovation. Alors que le projet initial intégré au CPER [contrat de plan État-Région] ne comportait que le transfert de l’IUT du Havre depuis le quartier de Caucriauville vers le quai Frissard et la création d’un restaurant universitaire du CROUS, il inclut désormais la construction d’un bâtiment unique et partagé qui accueillera l’IUT, le campus havrais de l’Ensam et le restaurant universitaire du CROUS avec, à terme, 2 000 étudiants en formation initiale ou en apprentissage, et 500 autres apprenants (stagiaires de formation continue, doctorants, postdoctorants…).

Dans un contexte de tension sur le marché de l’emploi, ce projet permettra de répondre aux enjeux du territoire en matière de production et de transport d’énergie verte, de décarbonation des transports maritimes, de maintenance et de logistique portuaire, et d’ingénierie en support à la réindustrialisation. Il optimisera également les surfaces et les coûts d’exploitation, en construisant des passerelles pédagogiques et en rationalisant les postes d’enseignants sur le campus.