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« Redonner à l’industrie et aux métiers de la main toute leur noblesse »

« Redonner à l’industrie et aux métiers de la main toute leur noblesse »
Trublion de l’hémicycle, Aurélien Pradié, membre des Républicains et élu du Lot, auteur de Tenir bon (paru en fin d’année et déjà réédité), s’est prêté au jeu de l’interview et nous donne sa vision de la réindustrialisation française.
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Par Propos recueillis par Eric Roubert
Publié le 2024-01-22
 
AMMag : Comment percevez-vous, en tant qu'élu de terrain, le mouvement de réindustrialisation française ?
Aurélien Pradié : Nous venons de très loin. La désindustrialisation était non seulement un phénomène économique que chacun pourrait expliquer par la mondialisation des échanges et le recours à des productions peu chères, mais c’était surtout le fruit d’une grande démission politique. Nos dirigeants ont commis une faute stratégique gigantesque en actant ce qu’ils pensaient comme une inéluctable évolution du monde. Le plus grave fut la démission morale qu’a constituée la désindustrialisation du pays. Un mouvement inverse, celui de la réindustrialisation, nécessite donc un réarmement tant économique et logistique que moral et politique. Il ne faut pas seulement remettre de l’industrie dans le pays, il faut aussi en remettre dans les esprits ! Des signaux positifs arrivent, mais ils sont encore faibles. D’ailleurs, les chantres de la décroissance sont encore des freins majeurs pour passer à une étape supérieure. La bataille politique doit être menée sans faiblir. Partout dans nos territoires, une richesse industrielle demeure. Je le constate dans un département rural comme le Lot. De véritables pépites industrielles existent et prospèrent. Ces territoires ont souvent été éloignés des mouvements économiques de « mode ». Nous avons pu passer à côté de certaines opportunités de développement, c’est vrai. Sauf que, pendant ce temps, nos territoires préservaient une richesse industrielle qui, aujourd’hui, constitue une force immense et stable en matière d’emplois, notamment. Ces mêmes entreprises ont su s’organiser en commun. Les pôles de compétitivité et d’excellence qui se sont développés, par exemple chez moi, autour de l’agroalimentaire ou de la sous-traitance aéronautique ont permis de conquérir quelques beaux marchés européens et mondiaux. 
AMMag : Le pays a-t-il encore de la vitalité pour remonter son industrie ?
A.P. : C’est tout le sujet. Le savoir-faire demeure. Le génie industriel aussi, même s’il a été beaucoup abandonné. Regardons notre industrie nucléaire. Nous étions les champions en équipements et en cerveaux. À force de dénigrer, les équipements ont vieilli, et les cerveaux ont fui. Pour retrouver une industrie, notamment dans les secteurs de l’environnement et du climat, il faut former une génération d’ingénieurs et de techniciens qualifiés. C’est un défi majeur. Et un véritable projet politique. La France fut grande grâce à l’audace et à la compétence de ses ingénieurs. Retrouvons cette force. Je crois que cette vitalité est encore présente. Nos racines industrielles ont été préservées par des chefs d’entreprise qui n’ont pas cédé à la fatalité et à la facilité de la tertiarisation. Le défi est ailleurs en réalité : pendant que la France abandonnait la sienne, d’autres pays faisaient le pari de l’industrie. Des pays qui, jusqu’ici, détenaient un faible savoir-faire ont fait des progrès gigantesques. Nous avons donc désormais à faire face à une double concurrence : celle de la main-d’œuvre peu chère et celle du savoir-faire performant d’autres pays. 
C’est là que l’État doit jouer son rôle. Je ne suis pas de ceux qui pensent que l’avenir de notre économie passera par l’effacement intégral de l’État et de l’action publique. En gaulliste, je crois en l’État stratège. Dans notre histoire, l’époque de Georges Pompidou a été celle qui a le mieux démontré ce que l’État pouvait donner comme impulsion à notre industrie. Il faut moins d’État sur les normes qui empêchent et plus de vision politique sur les grands plans de développement de la nation. J’insiste bien, la stratégie doit être nationale. Elle s’inscrit dans un cadre européen qui peut la porter plus haut mais, sans une force industrielle nationale, nous ne pouvons pas envisager sereinement une coopération européenne. L’Union européenne ne doit pas être le prétexte pour déléguer notre force industrielle à d’autres. L’exemple allemand doit nous tenir de leçon pour l’avenir. 

AMMag : Quels seraient les points à améliorer, selon vous ?
A.P. : D’abord la bataille politique. Redonner à l’industrie et aux métiers de la main toute leur noblesse. Cela peut sembler être un détail, et pourtant c’est essentiel. La parole politique a aussi cette fonction de redonner des lettres de noblesse et de modernité aux métiers de l’industrie. Nous devons retrouver une parole politique enracinée. La tertiarisation de l’économie a été accompagnée d’une tertiarisation de la parole politique. Les responsables publics ne croient plus à l’enracinement. C’est un drame national. Ensuite la formation. Il faut former et donner l’envie de devenir bâtisseur et inventeur. Le défi du renouvellement des cadres et des dirigeants d’entreprises industrielles est majeur. Souvent, ces entreprises sont familiales, et la succession est un défi. Dès le collège, il faut former non seulement aux savoirs fondamentaux, mais aussi à l’attrait des métiers « qui fabriquent ». L’apprentissage a un rôle stratégique. Cette voie doit devenir la règle dans notre pays. Des efforts importants sont faits, mais nous sommes encore loin du but. Enfin, donner un cap. L’industrie pour quoi faire ? Relever quel défi ? Servir quelle cause ? Les aspects techniques, fiscaux et normatifs comptent bien sûr. Mais ils arrivent après, à mon sens. D’abord le récit national, la mobilisation collective, et ensuite le cadre opérationnel. Là encore, la parole politique a un rôle crucial à jouer. Le Concorde, l’aérospatiale, l’excellence nucléaire, notre indépendance énergétique, tout cela a permis de donner un cap au pays et à ses acteurs. La question est aujourd’hui de savoir ce qui permettra « d’embarquer » le pays.
 
AMMag : Votre actualité, en dehors de l'hémicycle, c'est aussi un livre : Tenir bon. Quelque part en phase avec ce que vit la France ?
A.P. : C’est un livre aussi personnel que politique. Comme son titre. Un message de résistance et d’espérance à la fois. J’ai un parcours atypique et le caractère bien trempé qui va avec. Mais, de ce parcours, je tire des leçons politiques et peut-être même universelles. Si nous voulons que notre nation prospère et qu’elle impressionne à nouveau le monde, elle doit avoir quelque chose à dire. Or, aujourd’hui, nous ne disons plus rien. La France est devenue une brindille dans les tempêtes. Tenir bon, c’est résister aux modes et aux effondrements de valeurs d’une certaine époque. Et c’est aussi bâtir, doucement mais sûrement, un autre horizon. Il y a toujours de l’espoir dans la résistance. Comme un esprit français à retrouver. Dans ce livre, je retrace quinze ans d’engagement public, depuis mes 21 ans et ma toute première élection. J’étais à l’époque déjà une anomalie dans cette terre lotoise ancrée à gauche. Depuis, je suis devenu maire, élu régional et député. Je ne crois pas aux parcours déracinés, à ces élus qui exercent leurs missions comme de banals « jobs ». Pour mener de grandes batailles, il faut des cicatrices, des idéaux, des racines.
La faute principale d’Emmanuel Macron et de la macronie a été de vouloir effacer les clivages. En effaçant les repères, ils ont effacé les valeurs. L’émergence des populismes en est la conséquence. Une génération politique doit à mon sens tracer un chemin nouveau. Cela vaut dans ma famille politique comme ailleurs. Retrouver des repères, une droite et une gauche. Retrouver une maîtrise de notre destin commun. Accepter de remettre de la souveraineté partout. Et changer la vie. Sans cette exigence et sans cette ambition de changer la vie de nos concitoyens, la politique disparaîtra. C’est tout le sens de mon engagement qui prend souvent des airs de combat. Pour l’avenir. 
 
Biographie
Né en 1986 à Cahors (Lot), Aurélien Pradié est une personnalité politique française, membre des Républicains et élu du Lot. Il a été conseiller général et maire de Labastide-Murat, avant d’être élu député en 2017. Il est aussi conseiller régional d’Occitanie. Il est l’auteur de Tenir bon aux éditions Bouquins (2023).