Talents et liberté
La quête de la liberté est un attribut de la nature humaine, mais chercher la liberté au bout du tunnel en détournant ses yeux du réel expose au risque de n’y trouver que les désillusions d’un individualisme tyrannique.
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Par Michel Harmant
Publié le 2023-11-13
Notre époque se complaît dans les remises en cause. L’attrait de l’action corrective fait naître des vocations de redresseurs de torts. S’adonner à l’exercice est grandement facilité par le confort des espaces virtuels. La prolifération de réseaux n’ayant de sociaux que le nom crée de nouvelles addictions mais ne contribue pas massivement à la consolidation du lien social. Dans notre monde connecté, ceci est paradoxal, chacun peut avoir accès, presque instantanément, à la connaissance partagée, mais les bienfaits du partage semblent de plus en plus lointains. Est-ce un déficit de maîtrise des outils ? Est-ce une capitulation devant la difficulté croissante à gérer la complexité ? Le partage, dans les réseaux sociaux, a plutôt tendance à distendre le lien social en favorisant l’individualisme.
Dans notre monde contemporain, la tentation du relativisme domine les courants de pensée, mais le doute qui en découle n’a rien de scientifique. Il débouche sur le rejet de structures sociales séculaires, facteurs de civilisation qui ont façonné l’Europe. Le déclarer n’est pas se complaire dans des retours nostalgiques sur des clichés savoureux d’un passé trop lointain, les Européens ont adopté la culture du travail en même temps que celle de la parole. Le monarchisme s’est fait conservateur de cette double ligne de conduite. L’Europe lui doit son développement. Notre longue histoire a montré que la créativité n’est jamais purement individuelle. Aujourd’hui, le morcellement des acteurs disperse les forces créatrices. Les synchronismes collectifs qui font la réussite d’un projet se font plus rares.
Par l’instauration d’un culte de l’uniformité, nos mœurs évoluent vers une forme de dictature de la pensée donnant l’illusion de favoriser les libertés individuelles. Au nom d’une certaine idée de la liberté, nous éprouvons de la difficulté à concevoir la recherche du bien commun comme la démarche fondatrice de toute création humaine. La liberté est caricaturée dans la pensée libertaire qui la réduit à l’absence totale de liens concrets. La vie en société est rythmée par l’inflation de la légalité qui ne parvient cependant pas à combler le déficit de légitimité dont nous souffrons. Ce déficit conduit trop souvent au fanatisme et à l’arbitraire. La reconnaissance du mérite par le travail est amoindrie. L’épanouissement des talents en souffre. Ceux-ci sont trop souvent détournés vers des tâches administratives fastidieuses et inutiles. Le professionnalisme est dévalorisé. Les secteurs productifs ne parviennent plus à recruter. Dans notre pays qui n’en finit pas de fabriquer des envieux, nous avons trop tendance à oublier ce que la prospérité collective doit aux réussites personnelles et à leur exemplarité.
Il est bon d’oublier parfois la séduction trompeuse des formules d’estrade. Se confronter au réel est moins attirant mais plus constructif. La quête de la liberté est un attribut de la nature humaine, mais chercher la liberté au bout du tunnel en détournant ses yeux du réel expose au risque de n’y trouver que les désillusions d’un individualisme tyrannique. Lorsque redresser des torts devient une obsession, le lien social se distend et le nombrilisme prospère. Chercher refuge dans la mauvaise foi ne résout rien.