Industrie / Supply-chain
Deuxième partie : Dernier kilomètre : les clients prennent les commandes

Deuxième partie : Dernier kilomètre : les clients prennent les commandes

 

Les consommateurs adeptes du e-commerce vivent de plus en plus concentrés en zone urbaine. Rapprocher les stocks des clients, donc en centre-ville, est devenu un enjeu fort de la livraison. Un des leviers d’optimisation des distributeurs est le positionnement des entrepôts en zone périurbaine afin de massifier les stocks au plus près des destinataires. C’est ce que nous proposent les deux auteurs.
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Par Guillaume Asconchilo (Me. 210) et Suliac Lefeuvre (Me. 218)
Publié le 2023-10-30
 
S’adapter aux zones hyperurbaines
En zone hyperurbaine, la livraison du dernier kilomètre nécessite la création d’espaces de stockage au cœur des villes. L’hyperurbanisation et les nouvelles législations autour du « zéro artificialisation nette (ZAN) des sols » poussent les acteurs à repenser leur approche de ce dernier kilomètre. Ainsi, nous observons l’apparition de hubs logistiques mutualisés en centre-ville. Les surfaces et volumes existants doivent être réutilisés pour stocker et préparer les commandes (à livrer rapidement). Par exemple, les parkings en sous-sol sont aujourd’hui recherchés pour réaliser ces opérations. Une autre solution pour attaquer la livraison du dernier kilomètre en centre-ville dense consiste à utiliser des modes de transport différents. En effet, de plus en plus d’acteurs cherchent, par exemple, à emprunter la voie fluviale. L’emploi multimodal (utilisation de plusieurs moyens de transport pour une même livraison) permet de s’adapter aux défis nouveaux et de rapprocher les flux du cœur des villes. En témoigne l’apparition des péniches-entrepôts sur la Seine, elles-mêmes livrées par camions, visant à faciliter les livraisons en plein centre. Rares sont les bouchons sur la Seine… jusqu’à aujourd’hui.
 
Livrer à domicile
Le dernier maillon de la chaîne d’approvisionnement en zone hyperdense (entre le client et l’espace de préparation des livraisons) concentre différentes problématiques liées à la mobilité. Nous sommes désormais tous habitués à voir circuler des vélos-cargos dans nos villes pour le transport des colis, à l’image de ceux de La Poste dont la flotte a été fabriquée par l’entreprise française VUF Bikes. De même, dans les communes de taille moyenne, les livraisons s’effectuent au moyen de véhicules utilitaires légers électriques (« VULe »). Ces modes de transport ressuscités et modernisés répondent aux enjeux de décarbonation des centres-villes et aux réglementations imposées par l’État, telles les « zones à faibles émissions » (ZFE). Ajoutons à cela la réduction de la pollution sonore ou la priorité donnée de plus en plus souvent aux piétons… au détriment de l’automobile.
Ces technologies, leur coût au premier chef, ont forcément un impact sur les choix d’investissement des entreprises de livraison. Faut-il opter pour un VULe fonctionnant à l’hydrogène (100 000 €), à l’énergie électrique (55 000 €) ou bien au biogaz (20 000 €) ? Ma ville dispose-t-elle d’une infrastructure de bornes de recharge ? Ces dernières sont-elles accessibles ? Sans parler des évolutions futures de la réglementation relative à la décarbonation des transports. N’oublions pas non plus que de nouveaux moyens de livraison naîtront certainement dans les années à venir, comme l’utilisation de drones. Enfin, il est important de prendre en compte l’utilité sociale du livreur du dernier kilomètre, lequel pourrait côtoyer l’historique facteur distribuant les lettres à vélo. Le passé peut inspirer positivement le présent et l’avenir.
 
Expérience client renouvelée
La multitude des moyens de livraison du dernier kilomètre crée une expérience client renouvelée. De manière moins visible, mais avec un impact notable, notons le décongestionnement des centres-villes. Les nouvelles mobilités rendent (ou rendront) la vie des habitants plus agréable : moins de pollution, moins de bruit, plus de pistes cyclables et d’espaces piétonniers sécurisés. En somme, une réduction globale des éléments à l’origine du stress des habitants est prévisible. L’impact le plus direct touche au confort du client avec la réception du colis à un endroit et à un moment convenus à l’avance. En centre-ville, il est courant désormais de recevoir un SMS du livreur dans l’heure ou la demi-journée précédant la livraison. En fonction de la disponibilité du client, le transporteur aura la capacité d’adapter son parcours de livraison. Cette agilité est permise par l’utilisation du vélo et la digitalisation des outils d’aide à la livraison.
La possibilité de choisir entre différents niveaux de service, avec des livraisons plus ou moins rapides, plus ou moins précises, plus ou moins écologiques, à un tarif proportionné participe à la fidélisation de la clientèle. Cette dernière prend, en quelque sorte, les commandes.
Les entreprises sondées dans le « Baromètre 2023 du dernier kilomètre(1) » ciblent en priorité le choix d’un créneau de livraison et la communication de l’information en temps réel à différentes étapes. Ce n’est pas un hasard, car cela contribue à l’amélioration de l’expérience client. L’utilisation des données et des technologies, comme la « blockchain », permettra de répondre aux enjeux de transparence de la chaîne d’approvisionnement et de traçabilité que réclame une clientèle de plus en plus connectée. Autant de sujets qui impliquent des transformations en profondeur des outils et des processus des acteurs de la livraison. Comme mentionné précédemment, une relation privilégiée peut s’instaurer entre le livreur et le client. En parallèle, n’oublions pas d’assurer aux transporteurs de bonnes conditions de travail (démarche QVT [qualité de vie au travail]).
 
Réflexion sur la ville de demain
À l’évidence, la problématique de la livraison du dernier kilomètre est en pleine transformation. L’approche des zones de livraison, les moyens d’approvisionnement, le respect des réglementations (en cours et à venir) sont autant de sujets sur lesquels la réflexion est en train d’évoluer. Pour autant, certains aspects de la livraison du dernier kilomètre restent encore à creuser. La distribution ne s’arrête pas à la réussite de la livraison à domicile : le retour des produits, qui représente une part non négligeable des coûts logistiques et des émissions de CO2, doit lui aussi être pris en compte. De fait, les distributeurs travaillent aux schémas d’amélioration des retours, arbitrant entre satisfaction client et diminution des impacts environnementaux. Ce sujet impose des innovations dans leur gestion bien sûr, mais, plus important, des changements culturels aussi bien chez les professionnels de la distribution qu’auprès des clients. Autre enjeu majeur : la diminution des emballages. Ceux-ci pèsent jusqu’à 20 % de l’impact environnemental de la distribution. Les acteurs cherchent à optimiser leur utilisation, voire à les supprimer. Certaines innovations en cours d’apparition favorisent leur réutilisation.
Voilà les principaux éléments en mutation, pour lesquels des réponses pérennes sont attendues. Beaucoup reste à construire.
 
(1) Étude réalisée par Woop, en coopération avec Infopro Digital, auprès d’un panel de 100 professionnels du Retail français.
 
Les chiffres
Ordre de grandeur des coûts des véhicules légers en fonction de la technologie
Hydrogène : 100 000 €
Énergie électrique : 55 000 €
Biogaz : 20 000 €
75 : C’est le nombre de véhicules utilitaires légers que remplacerait une barge à Strasbourg !
(Source : « Dernier kilomètre : carnet de tendances 2023 », Woop)