Technologie / Energie
Une gigafactorie pour produire des batteries sodium-ion

Une gigafactorie pour produire des batteries sodium-ion
La jeune pousse Tiamat, installée au sein du hub de l’énergie de l'université de Picardie-Jules-Verne vient de produire une technologie totalement disruptive : un batterie sodium-ion.Première mondiale, elle équipe la marque Dexter de chez Leroy-Merlin.
Rencontre avec Hervé Beuffe (Bo.196), son dirigeant dont l’objectif est de créer une gigafactorie à Amiens. Retrouvez aussi en vidéo : l'interview marché d'Hervé Beuffe et l'explication du procédé de fabrication.
 
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Par Propos recueillis par Eric Roubert
Publié le 2023-10-05

 

AMMag : Tiamat, en quelques mots…

Hervé Beuffe : Tiamat, c'est une spin-off du CNRS. Notre métier est de concevoir, industrialiser et produire des batteries sur la base d'une technologie alternative au lithium-ion qu’est le sodium-ion. Cette technologie a été développée, ici à Amiens, dans les années 2010, grâce à un groupe chercheurs dirigé par le professeur Jean-Marie Tarascon. Ils ont développé des chimies d'électrodes positives et négatives et ont obtenu, après plusieurs années de travail, des performances tout à fait intéressantes. Ils ont souhaité créer une start-up pour valoriser les résultats de leurs recherches au sein du CNRS.

AMMag : Rappelons que le professeur Tarascon est médaille d'or du CNRS 2022, pour ses travaux pionniers dans la compréhension et la découverte de nouveaux concepts réactionnels liés au lithium, la synthèse de nouveaux matériaux d’électrodes et d’électrolytes pour batteries, et la conception de batteries inédites.

Hervé Beuffe : C'est une sommité de l'électrochimie et l’obtention de la médaille d'or du CNRS demeure la plus grande distinction française scientifique. Mais au-delà, c’est un plaisir de travailler avec lui et ses équipes.

AMMag : Quel rôle jouez-vous dans Tiamat ?

Hervé Beuffe : J’ai passé les 20 dernières années dans l'industrie à fabriquer du revêtement de sol, des boîtes de conserve ou encore des tubes plastiques. Mon arrivée au sein de Tiamat correspond au besoin de la spin-off de passer de la recherche au stade de production industrielle.

AMMag : Revenons sur cette technologie. On parle tout le temps de batteries lithium-ion mais rarement de sodium-ion…

Hervé Beuffe : Effectivement, il y a quelques années, le sodium était peut-être un fantasme.

Aujourd'hui, ça ne l’est plus. La question n'est pas de dire est-ce qu'il va trouver son marché, mais quand va-t-il arrivé sur le marché ?

AMMag : C’est-à-dire ?

Hervé Beuffe : Le lithium aujourd'hui est un super produit. Toutefois, son gros défaut est de reposer sur des matériaux, lithium, nickel, cobalt, qui ne sont finalement pas assez accessibles et disponibles dans les années à venir par rapport aux besoins de l'électrification des véhicules et les besoins en batteries en tous genre. Donc, il y a besoin de technologies alternatives pour d'autres usages qui libèrent un petit peu le lithium. Le sodium-ion est aujourd'hui la réponse la plus crédible.

AMMag : Allez-vous fournir des batteries pour les voitures électriques ?

Hervé Beuffe :  Nous serons sur deux générations de batteries sodium-ion. La première est vraiment un produit dit de puissance, c’est-à-dire qu’il va se charger et se décharger rapidement. Cette batterie-là, en 10 minutes vous pouvez la charger complètement, mais elle stockera moins d'énergie qu'une batterie lithium-ion et à ce titre elle est moins adaptée finalement pour l'autonomie des véhicules électriques. Avec cette génération-là, nous ciblons les marchés dits de puissance notamment celui des outils électroportatifs. La deuxième génération sera destinée aux véhicules électriques… et que dire, on ne dépend plus du lithium, nickel, cobalt, on produit une chimie qui est souveraine, qui est économique et qui va permettre à tout un chacun d'acquérir enfin des véhicules électriques, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

AMMag : La première génération reste un marché de niche ?

Hervé Beuffe : Cette première génération a un potentiel absolument énorme ! Songez, nous équipons déjà de batteries sodium-ion les outils électroportatifs de la marque Dexter de Leroy-Merlin. C'est la première commercialisation au monde d'un produit électromécanique qui utilise une batterie sodium-ion. Et, si à ce jour nous fabriquons les cellules cylindriques dans notre laboratoire, mais nous avons d’ores et déjà besoin d’augmenter nos capacités de production. Et, quand on va parler de dizaines de milliers ou de centaines de milliers de cellules, il va falloir que l’on commence un projet industriel !

AMMag : C’est d’actualité ?

Hervé Beuffe : Effectivement, nous finançons aujourd'hui le montage d'une gigafactory à Amiens qui dans un premier temps produira 0,7 gigawatt-heure. Il y aura bien entendu une montée en charge…

AMMag : Pour vous, Amiens c'est la ville idéale ?

Hervé Beuffe : Assurément ! Notre cœur bien sûr est à Amiénois puisque c’est ici, que la technologie a été développée. Mais au-delà de cette première raison, il est important d'être dans les Hauts-de-France. C’est la région de la batterie avec ACC ou Verkor. Etre présent dans la région est un atout sans pour autant être trop près non plus de ces aspirateurs de ressources pour que l’on puisse avoir finalement le choix d'une main d'œuvre qualifiée et disponible. Nous comptons embaucher dans la région sur les deux prochaines années.  Nous allons passer de 25 collaborateurs à 80 et dès lors que nous produirons 5 gigas, nous devrons employer 1000 à 1200 personnes.