Ress. humaines / Analyse
Interview croisée de Stéphanie Fraise et de Jérémy Lamri, intervenants de « Future of Work Digital »

Interview croisée de Stéphanie Fraise et de Jérémy Lamri, intervenants de « Future of Work Digital »
En avant-première de la conférence débat « Future of Work Digital », Stéphanie Fraise secrétaire générale du think tank L’Observatoire des métiers du futur et Jérémy Lamri entrepreneur et chercheur français spécialisé dans le développement de l’employabilité et du potentiel humain se prêtent au jeu de l’interview.
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Par Julienne Nadin
Publié le 2023-10-02

 

AMMag : Quelle est votre vision du marché du travail en 2050 ?
Stéphanie Fraise : Le monde du travail vit déjà actuellement une transformation importante sous l'impulsion de nombreux changements sociétaux, environnementaux, technologiques. À horizon 25 ans, on peut imaginer que ce qui ne sont aujourd'hui que de légères tendances pourraient devenir la norme et la réalité quotidienne. Ainsi, par exemple, le monde du travail en 2050 pourrait se caractériser par des modes contractuels et organisationnels extrêmement flexibles, avec une part dominante de travailleurs indépendants et un corps social d'entreprise complètement revisité, devant composer avec des formes très diverses et hétérogènes de relations de travail avec ce qui était avant des salariés ou des employés. Dans 25 ans, on peut aussi espérer que les compétences comportementales ou soft skills prédominent dans les entreprises et dans la gestion des talents, permettant ainsi une meilleure fluidité de l’emploi et une bonne adaptation aux changements. Sur le plan technologique, la cohabitation avec un monde fortement digitalisé sera une réalité, l’automatisation des tâches sera majeure, et l’humain aura appris à opérer dans cet environnement hybride.
Jérémy Lamri : Ma vision du marché du travail en 2050 est celle d’un univers numérique intégré, multidimensionnel, où le travail à distance est la norme grâce à l'influence de la réalité virtuelle (VR), augmentée (AR) et mixte (MR), créant des environnements de travail plus riches, interactifs et engageants. Le champ d'action de l'intelligence artificielle (IA) se sera élargi, en automatisant les tâches non seulement physiques, mais aussi cognitives, facilitant ainsi la prise de décision sur le lieu de travail. La blockchain sera omniprésente dans tous les pans de notre quotidien, offrant une transparence et une sécurité accrues, et révolutionnant les domaines comme la santé, l'éducation et le travail. Dans cette société, il n'y aura plus assez de travail pour tout le monde dans le sens où l’on entend le travail aujourd'hui. Mais l'économie aura évolué : le secteur quaternaire, intégrant des services hautement spécialisés comme la recherche scientifique ou les technologies de l'information, deviendra le moteur principal de l'économie. La composante de création de valeur sociétale du secteur quaternaire permettra à des millions de personnes d'avoir un travail à hauteur de leurs capacités : services à la personne, actions citoyennes, etc.
AMMag : Quelles seront, selon vous, les compétences essentielles sur lesquelles capitaliser pour se rendre attractif et performer ? 

S.F. : Les compétences dites « comportementales » ou soft skills émergent déjà aujourd’hui et devront devenir la priorité tant pour les entreprises que pour les individus. Elles offrent l'avantage d'être des compétences durables – et ainsi les seules à même de se préparer à un futur en constante évolution – et transférables, c’est-à-dire non spécifiquement liées à un métier, permettant ainsi de la flexibilité de l’emploi. Pour ne se concentrer que sur quelques-unes d’entre elles, on peut citer « apprendre à apprendre » : développer et cultiver sa capacité apprenante en autonomie est le socle, par la suite, de toute capacité à se réinventer, à s’adapter, à progresser et à se développer, favorisant ainsi son employabilité future. Il faudra également développer ses capacités de réflexion analytique et de résolution de problèmes complexes, celles-ci figurant parmi les premières compétences dites « soft » figurant tous les ans au classement du World Economic Forum. Ces compétences éminemment (encore) humaines favoriseront notre capacité à cohabiter demain avec un monde hautement digitalisé, automatisé, dans le cadre duquel l’humain devra se positionner sur des tâches à valeur de plus en plus forte.

J.L. : Dans ce monde en perpétuelle mutation, les compétences essentielles seront à la fois techniques et humaines. Il sera crucial non seulement de maîtriser les technologies émergentes telles que l'IA, la VR ou la blockchain, mais également de développer son intelligence émotionnelle, sa créativité, sa pensée systémique et sa capacité à penser de façon critique. Les compétences cognitives de haut niveau seront plus que jamais valorisées. En même temps, de nouvelles compétences en relation avec l’usage des nouvelles technologies seront à acquérir, sans oublier des compétences comportementales liées à l’éthique et à la responsabilité environnementale et sociétale.

AMMag : Quels conseils donneriez-vous à un candidat qui souhaite développer son employabilité dans le secteur du digital ?

S.F. : De lire la réponse à la question 2… ! Plus sérieusement, nous sommes tous des candidats en devenir. Changer de métier est aussi l’une des réalités avec laquelle nous devrons composer. À titre d'illustration, plusieurs études ont démontré qu’une large majorité des étudiants d’aujourd’hui exerceront dans les dix ou vingt prochaines années des métiers qui n’existent pas encore. Cela concerne aussi les individus actuellement en poste, et travailler son employabilité est plus que jamais un enjeu pour s'adapter à ces changements. À noter également que l'environnement du travail du futur reposera non plus sur la seule gestion de postes ou de métiers, mais plutôt sur des portefeuilles de compétences qui évolueront au gré des besoins et des missions. Travailler son employabilité requiert donc non seulement de s’acculturer à tous les enjeux technologiques actuels, en restant au fait de toutes les évolutions, mais aussi de développer son propre portefeuille de compétences, en particulier « soft », en priorisant celles mentionnées en question 2, mais aussi en repérant les compétences requises selon son métier ou son secteur d’activité.

J.L. : Pour un candidat qui souhaite développer son employabilité dans le secteur du digital, je conseillerais d'abord de se familiariser avec les technologies de pointe telles que l'IA, la blockchain et la VR/AR. La connaissance des dernières tendances et l'adaptation rapide aux changements aideront à rester compétitif. Il est aussi important d'apprendre à coder, car cela reste un élément central de nombreux postes numériques. Enfin, le networking, autant en ligne que hors ligne, peut ouvrir des opportunités inattendues. Il faut se tenir prêt à embrasser l'avenir incertain et passionnant du monde numérique.