Ress. humaines / Décryptage
Dessine-moi un intrapreneur

Dessine-moi un intrapreneur
Un intrapreneur est un entrepreneur employé qui œuvre avec une certaine indépendance dans le cadre préétabli de son entreprise. Si le salarié comme sa société en tirent de réels bénéfices, ce modèle de développement a aussi quelques limites. Cocréateur de la Ruche industrielle, Bertrand Félix (Cl. 199) a réussi deux projets d’intrapreneuriat et forme à présent des dirigeants à cette méthode. Il raconte ses apprentissages.
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Par Bertrand Félix (Cl. 199)
Publié le 2023-08-31

Un intrapreneur est un collaborateur qui utilise à la fois les codes de l’entrepreneuriat et les ressources de l’entreprise pour réaliser ou accélérer des projets innovants, pour son propre bénéfice et celui de la structure. Loin d’être un «agitateur», sa démarche est au contraire bienveillante envers l’entreprise : il veut avancer et faire bouger les lignes pour mettre en place un nouveau produit ou une nouvelle offre. Il a généralement une bonne lecture du contexte et des besoins — ce qui facilite sa navigation entre les environnements «politiques» de l’entreprise, que ses convictions poussent à transformer de l’intérieur.

Celui qui ose bouger

Les processus mis en place par une entreprise sont certes structurants mais ils n’aident pas forcément les collaborateurs à trouver du sens ni à se dépasser. La créativité des uns est bridée, d’autres se sentent frustrés, le tout affecte leur développement professionnel et celui de la structure. Pourtant, l’enjeu est de mieux répondre aux attentes des clients ou de les anticiper. Car les crises successives n’ont pas fait disparaître la concurrence, bien au contraire. Pour rester dans la course, les sociétés doivent privilégier deux critères clés : vitesse et flexibilité. Être dans le «time-to-market», c’est sortir plus rapidement des produits et des services innovants, attrayants et fiables face à une demande de plus en plus exigeante. S’adapter à des marchés mouvants et incertains, c’est aussi accepter de pivoter, de se diversifier et de prendre des risques. En réponse à ces défis, l’intrapreneur est celui qui va oser bouger, décréter un nouveau standard, avancer, puis fédérer une équipe autour de lui pour «couper les virages» et créer de la valeur.

Laisser la puissance éclore seule

Mettre en place une culture de l’innovation incarnée par les manageurs, faire confiance et autoriser le droit à l’erreur crée un environnement fertile. Alors, la règle des «3P» peut s’appliquer : se donner la «permission» de, recevoir la «protection» de, amplifier la «performance» des collaborateurs et du groupe. Si certaines entreprises laissent émerger naturellement les talents intrapreneurs, d’autres, plus proactives, mettent en place des programmes spéciaux. Ces parcours suscitent des vocations chez les collaborateurs et permettent de sensibiliser les RH et les manageurs pour mieux identifier les potentiels au sein des équipes. Cependant, il est important de garder à l’esprit qu’un intrapreneur a besoin, comme un entrepreneur, d’éclore par lui-même et de dépasser sa fiche de poste pour être puissant.

Un conquérant séducteur

Réussir le démarrage d’un projet en mode intrapreneur, c’est agir en pionnier, ouvrir une voie qui n’est pas forcément linéaire, avoir une vision et se donner la permission d’y aller. C’est aussi capter les besoins critiques du terrain, sans attendre que toutes les conditions favorables soient réunies. L’intrapreneur est un conquérant qui va incarner son projet auprès de la direction et des autres collaborateurs. Pragmatique, il va se mettre en mouvement dans une dynamique de «faire» pour «apprendre». En cheminant, il va rapidement passer des phases de maturité à la découverte de nouvelles ouvertures. C’est le principe de l’effectuation : démarrer avec ce qu’on a, raisonner en pertes acceptables, coconstruire en mode patchwork, être le pilote dans l’avion et tirer parti des aléas. Alors que les processus classiques de l’entreprise poussent, eux, à planifier et théoriser longtemps pour assurer le coup au risque d’arriver après la bataille. Dans cette conquête, l’intrapreneur aura besoin d’attirer et de fédérer une équipe pluridisciplinaire à l’intérieur et à l’extérieur de sa société. Agir en leader, c’est aussi savoir ralentir pour rassurer et mieux embarquer les autres. L’intrapreneur met de lui-même dans le projet, il séduit. Pour convaincre ses partenaires, il communique de manière maîtrisée et avec enthousiasme dès le démarrage.

Ne pas créer de francs-tireurs

On attend de cet agent du changement qu’il produise des résultats bénéfiques pour son entreprise, pour lui-même et pour son équipe. En diffusant la culture de l’entrepreneuriat, l’intrapreneur inspire les autres en leur montrant que c’est possible et crée un terrain propice au développement de sa structure. Car sa démarche aboutit dans certains cas à la création d’une start-up sous forme de «spin-off». Attention, être intrapreneur, c’est aussi devoir absorber des chocs, des écueils et vivre des déceptions. Car la posture peut générer des incompréhensions, des portes qui se ferment et des critiques directes. L’investissement personnel, le fait de prendre des coups, l’usure et la fatigue peuvent amener jusqu’au burn-out. L’aventure n’est pas pour tout le monde : la posture intrapreneuriale peut générer des peurs, voire paralyser certaines personnes. Favoriser l’émergence de ce modèle, ce n’est pas l’imposer à tout prix à ses collaborateurs. Par ailleurs, une forte prise d’autonomie peut engendrer des effets néfastes : des francs-tireurs, sortes d’électrons libres qui mettent en tension l’organisation en n’acceptant plus les suggestions du management, peuvent naître. Pour éviter de partir en orbite, l’intrapreneur ne doit pas oublier de rester connecté à l’entreprise et à ses processus. Les manageurs et services RH doivent l’accompagner dans cette prise de recul. Pour conserver son énergie et sa force de traction, l’intrapreneur doit bien se connaître et s’appuyer sur son équipe. Mais ce n’est pas Superman : la proximité avec un manager bienveillant et protecteur permettra de détecter les signaux faibles et d’agir à temps.

Maintenir l’enthousiasme

Une fois un projet mené à son terme, le risque est grand de voir l’énergie et l’enthousiasme de l’intrapreneur retomber. Il faut trouver de nouvelles sources de motivation pour retenir ces talents dans lesquels l’entreprise a investi. Les RH ont la responsabilité de proposer d’autres missions excitantes. Développer les ressources internes en réponse à un marché de l’emploi en tension est une stratégie payante. Cela permet également à l’intrapreneur de rester en position d’acteur et de continuer à inspirer.

 

Mini-bio : Bertrand Felix (Cl. 199)

Pendant les cinq dernières années, Bertrand a mené et réussi deux projets d’intrapreneuriat : le contrôle qualité moteur par réalité augmentée chez Volvo, à Laval Virtual en France et à Boston aux États-Unis, en prélude à la transformation du groupe; la cocréation de la Ruche industrielle, plateforme de 17 industriels et autres acteurs réunis pour réaliser des projets communs autour de l’industrie du futur (1 million d’euros de budget de fonctionnement après trois ans). Bertrand forme les chefs de projets aux méthodes d’intrapreneuriat et accompagne les dirigeants et les RH de plusieurs entreprises sur ses enjeux et ceux des transformations.