Debat / Expertise
Le bon sens pour boussole

Le bon sens pour boussole
C’est à la tête des usines françaises du groupe suédois Esselte, spécialisé dans les articles de bureau (hors papier et informatique), que Gérard Jandin (Ch. 170), aujourd’hui conseiller dans la transformation des organisations, a mis au point un mode de gestion qui se rapproche de «l’entreprise libérée». Entretien avec un manageur atypique qui a appris le management sur le terrain. 
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Par propos recueillis par Djamel Khames
Publié le 2023-07-04

Arts & Métiers Mag: Pourquoi publiez-vous un livre qui raconte votre expérience professionnelle et explique votre modèle de management?  

Gérard Jandin: Parce que j’ai mis quinze ans à comprendre un événement qui aura marqué ma carrière. Cela faisait cinq ans que je dirigeais les deux usines françaises du groupe Esselte, qui employaient au total 350salariés.En 2001, période où les usines fermaient en France, suivie ou non de délocalisations, la nouvelle direction générale d’Esselte lançait un audit des sites industriels européens en vue d’une potentielle restructuration de la production. À cette époque, j’étais persuadé que l’on ne survivrait pas à cette mise en concurrence, car les salaires de l’usine polonaise étaient sept fois inférieurs aux nôtres. Mais, surprise, l’auditeur financier, venu de Londres, a conclu l’impensable: les deux sites français restaient en France. Ils étaient devenus les plus performants du groupe. 

AMMag: Quelle était la recette managériale qui a classé vos usines comme étant les plusperformantes? G.J.: Étant fils d’ouvrier, je sais ce que vivent les salariés en usine. Alors, j’ai toujours accordé, quasi instinctivement, une grande attention aux salariés. Avant d’être embauché par Esselte, j’étais fort d’une double expérience: directeur d’usine et directeur du personnel. En arrivant sur place, j’ai déconstruit l’organisation hiérarchique existante, que j’ai remplacée à 100% par une organisation horizontale, donc sans hiérarchie. Pour moi, ce ne sont pas les machines qui font la valeur d’une entreprise mais les personnes. Cette organisation fonctionnait évidemment avec des méthodes et des outils, lesquels ont permis à plus de 80% des salariés d’être focalisés et complètement impliqués dans leurs tâches. À partir de là, parce que le personnel s’est senti en confiance, la performance globale a progressé et son inventivité s’est libérée. Un jour, j’ai été surpris quand trois opératrice m’ont proposé, devant la machine à café, devenir voir un nouveau produit qu’elles avaient imaginé. Peu de temps après, 42 propositions similaires ont vu le jour. Les ingénieurs et les techniciens étaient, entre autres, au service des ouvriers. Ils devaient leur apporter des solutions quand un problème technique ou un souhait d’innovation s’exprimaient. 

AMMag: Vous avez quitté le groupe Esselte peu après l’audit. Que sont devenues ses usines françaises?  G.J.: J’ai été remplacé par un directeur qui a remis en place une hiérarchie avec un commandement descendant(top-down), à l’opposé de ma démarche montante (bottom-up).Cinq ans après, les deux usines ont fermé. 

AMMag: Quels enseignements tirez-vous de cette expérience?  G.J.:C ’est l’objet de mon livre. Je raconte comment on peut impliquer les salariés en leur donnant de véritables responsabilités et, surtout, du sens à leur vie professionnelle. Sans oublier le plus important: leur offrir une confiance sincère.

 

,éd. L’Harmattan,coll. «Ad Valorem»,novembre2022, 328 p. Sous-titré «Clef de réussite et rêve pour l’entreprise», cet ouvrage présente le parcours professionnel l’auteur (1repartie) puis son modèle de management «Janus», dont l’objectif est de concrétiser le rêve de toute entreprise (2epartie). Voilà un livre inspiré du terrain et inspirant pour les directions!